Des lunettes chic qui soufflent à l’oreille

La start-up parisienne 5th Dimension s’apprête à lancer des lunettes innovantes. Elles embarquent dans leurs branches un système qui filtre les bruits de fond, améliore la qualité d’un son intéressant et le transmet directement à l’oreille interne. Parmi les technologies mises en œuvre, figurent deux algorithmes de pointe fournis par le centre de recherche Inria Rennes – Bretagne Atlantique.


Cacophonie urbaine, staccato du métro, concerto du lave-vaisselle… La vie moderne engendre son lot de brouhaha qui vient parfois parasiter nos conversations. “Le corps humain n’est pas équipé pour filtrer tout ce bruit de fond. En fait, jusqu’à la révolution industrielle, il n’y avait pas un grand volume sonore sur notre planète. Nos ancêtres n’avaient donc pas besoin d’un dispositif physiologique pour filtrer le son,” résume Aron Kapshitzer, co-fondateur de 5th Dimension, une start-up dont les lunettes permettront justement à l’utilisateur de réduire le bruit ambiant et de mieux entendre ce qui l’intéresse.

Première paire de lunettes présentée par la société 5th Dimension

“Mais avant toute chose, nos lunettes se veulent un bel accessoire de mode. Elles offrent différentes formes, différentes couleurs, différentes finitions. Elles obéissent aux codes du design comme n’importe quelle autre marque que vous trouverez chez votre opticien préféré. Certes, elles embarquent de la technologie, mais cette technologie doit se faire la plus discrète possible et constituer seulement un plus. Pas un gros gadget de geek posé sur votre nez.”

L’innovation va donc se cacher dans les branches de la monture. “Notre solution utilise le principe de la conduction osseuse. Un transducteur miniaturisé crée une légère vibration sur le crâne. Ce qui permet de transmettre le son directement à l’oreille interne sans transiter par le pavillon,” explique Sophie Serrero, co-fondatrice.

Comme un détourage dans Photoshop

La miniaturisation des composants électroniques constitue un des gros défis. Mais un autre aspect essentiel concerne le logiciel. “Pensez à Photoshop et à la façon dont vous détourez un élément dans une image puis vous supprimez le fond, résume Aron Kapshitzer. C’est la même chose avec les sons. Vous pourrez tourner la tête vers quelqu’un, appuyer à un endroit sur la branche de lunettes, sélectionner la source sonore que vous voulez mieux entendre et enlever le bruit de fond. Pour parvenir à cela, il nous fallait deux briques technologiques spécifiques. Une pour la localisation des sons. Une autre pour leur séparation.”

Et c’est là qu’Inria entre en jeu. “Récemment encore, nous étions hébergés à la Station F, le plus gros incubateur de start-up de Paris, témoigne Sophie Serrero. Inria y dispose d’un bureau. Par cet intermédiaire, nous avons appris l’existence des recherches sur le son et le traitement du signal menées par une équipe de Rennes.”

Ingénierie par InriaTech

Le dossier est alors pris en charge par Cécile Martin, chargée d’affaires de la cellule rennaise d’InriaTech. Cette structure fournit des services d’ingénierie de recherche aux entreprises souhaitant utiliser le patrimoine technologique de l’institut.

Espace Inria Tech dans les locaux d’Inria Rennes Bretagne Atlantique © Inria / Photo C. Morel

“Le bureau Inria à la Station F nous est vraiment utile. Sans cette présence dans l’éco-système de start-up parisien, nous n’aurions probablement pas eu l’occasion de rencontrer 5th Dimension étant donné que notre périmètre de prospection se trouve concentré sur la Bretagne. La collaboration va s’effectuer en deux temps car les deux technologies se situent à des stades de maturité différents. Elles résultent toutes les deux de recherches conduites par l’équipe de recherche Panama. Le logiciel de localisation est assez mature.

Donc, sur cette partie, nous aurons une phase d’ingénierie afin d’adapter le logiciel au contexte industriel de l’entreprise. Ce travail va durer deux mois. Il sera effectué par un de nos ingénieurs en interne. InriaTech a justement vocation à fournir ce type de développements rapides pour valider des résultats par de la preuve de concept ou du prototypage. Cette réactivité est primordiale, en particulier pour les start-up.

La seconde phase porte sur la séparation de sources sonores. Elle demande plus de recherches. Elle va s’étendre sur huit mois avec l’implication directe des scientifiques de l’équipe Panama, chercheurs et ingénieurs de recherche.”

20 ans de recherches

Comme l’explique Rémi Gribonval, responsable de Panama, “le premier outil, Multichannel BSS Locate, est disponible en MATLAB depuis un certain temps. Il permet la localisation spatiale et comprend plusieurs algorithmes capables d’agréger l’information venant de multiples paires de capteurs. La première partie de la collaboration consistera surtout à adapter cet outil au cas d’usage de 5th Dimension. La seconde partie s’appuie sur FASST, notre boîte à outils pour la séparation des sons. Tous ces outils ne sont pas encore interopérables.

La collaboration va nous donner l’occasion de réaliser cette interopérabilité. Un autre aspect concerne les modèles de sources. La séparation fonctionne bien quand nous avons de bons modèles. Il nous faut donc identifier ces modèles dans le contexte des lunettes et entraîner notre logiciel pour ce scénario particulier. Les modèles dont nous disposons pour l’instant ne tiennent pas compte de l’environnement sonore : se trouve-t-on par exemple dans une cathédrale ? Dans un bureau ? Ou dans une salle de séjour ? Cela va impacter le genre de bruit ambiant que nous devrons modéliser et pour lequel nous devrons tester la robustesse de nos méthodes.

Image par Dariusz Sankowski de Pixabay

Il y a donc un intérêt scientifique dans cette collaboration. Nous espérons qu’elle fera surgir de nouveaux problèmes et viendra ainsi alimenter des questions futures. Évidemment, c’est aussi une satisfaction pour nous à chaque fois que nous voyons nos algorithmes utilisés par une entreprise. C’est le résultat d’une action de long terme puisque nous avons commencé à travailler sur la séparation de sources il y a presque 20 ans.

Quant aux lunettes, “il nous faut encore du temps de maturation. Nous visons la perfection car nous voulons garantir une expérience utilisateur qui soit la meilleure possible,” indique Aron Kapshitzer. “Nous aurons un prototype fonctionnel cet hiver, ajoute Sophie Serrero. Nous prévoyons une arrivée du produit chez les opticiens à l’automne 2019.

 

  • (1) Le projet est soutenu par l’Agence pour les mathématiques en interaction avec l’entreprise et la société (AMIES). Cette structure est à la fois un LABEX (Laboratoire d’excellence créé par le gouvernement dans le cadre du programme “Investissements d’avenir”) et une unité mixte de services (UMS 3458) du CNRS et de l’Université Grenobles Alpes.

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