Surveiller automatiquement l’état des infrastructures

Leader mondial dans les capteurs sismiques de haute précision, l’entreprise Sercel lance S-lynks, une solution innovante pour surveiller en temps réel le bon état des ponts, des bâtiments et autres ouvrages de génie civil. Outre les capteurs, le système comprend un logiciel d’analyse modale opérationnelle pour mesurer la réponse d’une structure aux vibrations ambiantes. Suite à un transfert de technologie, cette application embarque des algorithmes de nouvelle génération élaborés par les chercheurs de l’équipe I4S au centre Inria Rennes – Bretagne Atlantique.


Sercel est le leader mondial sur l’instrumentation sismique pour la prospection géophysique, résume Laurent Guerineau, responsable innovation. Nous travaillons pour l’industrie gazière et pétrolière. Or depuis 2015, le prix des hydrocarbures baisse. Du coup, la prospection de nouveaux gisements, elle aussi, diminue. Nous vendons donc moins de matériel. Ce qui nous a amené à amorcer une stratégie de diversification. Il se trouve que nous fabriquons un accéléromètre ultra-sensible appelé QuietSeisTM. Nous avons réalisé que ce micro-système électro-mécanique (MEMS) était particulièrement bien adapté pour faire de la surveillance d’infrastructure par analyse modale. Cette technique consiste à observer les propriétés vibratoires d’une structure soumise à l’excitation ambiante générée par le vent, les micro-séismes ou la circulation par exemple.” Si un pont subit une détérioration même invisible à l’œil nu, les paramètres modaux vont changer et donc signaler un besoin d’inspection, voire de maintenance.

La solution S-lynks comprend toute une série d’accéléromètres disposés sur la structure. Alimenté par une batterie tenant plusieurs années, chaque capteur possède un module wifi pour acheminer les données vers un concentrateur qui les envoie ensuite vers le cloud grâce à une communication cellulaire IoT.

Mais l’entreprise ne se contente pas de vendre un matériel de pointe. Elle a décidé de proposer du service. “Nous nous sommes posés la question de savoir comment rendre cette donnée issue des capteurs plus intéressante pour les utilisateurs finaux. Nous nous sommes dits qu’il fallait la traiter, effectuer de l’analyse modale et proposer cela comme service à nos clients. Et c’est là qu’Inria entre en jeu. Étant nouveaux dans le domaine, nous avons commencé par éplucher la littérature scientifique. D’après cette étude bibliographie approfondie, parmi toutes les méthodes d’analyse modale opérationnelle, la meilleure est ce que l’on appelle l’identification de type stochastique sous-espace (en anglais : SSI).

Dans cette catégorie, il nous est vite apparu que l’équipe de recherche I4S d’Inria avait développé l’algorithme le plus performant. Grâce à son niveau d’optimisation, il se prêtait bien à une application industrielle, et cela que le calcul soit effectué dans le cloud ou directement sur la structure dans le boîtier contenant le capteur, avec donc beaucoup moins de puissance.

Ensuite, les choses sont allées vite. “Nous avons rencontré les chercheurs d’I4S Laurent Mevel et Michael Döhler, ainsi que Patrice Gélin, responsable du transfert au centre Inria de Rennes. Les discussions nous ont confirmé que l’expertise du laboratoire était très bien corrélée à nos problématiques de terrain et que les résultats de recherche étaient vraiment utilisables dans notre contexte industriel. Nous avons senti que la technologie était suffisamment mature pour un transfert rapide et efficace.

 

Gain de temps considérable

Les algorithmes de type sous-espace présentent une très bonne base mathématique, une excellente robustesse aux bruits dans les données et une large applicabilité, explique Michael Döhler. En outre, on peut facilement les automatiser. Mais en raison de l’énorme volume des données, l’analyse modale pose un défi en termes de calcul. L’un de nos axes de recherche consiste donc à optimiser ces algorithmes d’un point de vue mathématique pour les faire tourner plus vite et avec le moins de mémoire possible. Un calcul qui prenait auparavant 30 minutes s’effectue désormais en… 30 secondes !” Un gain de temps considérable, donc.

Mais ce n’est pas tout. La frugalité en calcul permet aussi de traiter les données non plus seulement sur le cloud mais directement dans l’appareil de capture installé sur la structure à surveiller. “C’est ce que nous pensions faire au départ et nous le ferons peut-être dans l’avenir, indique Laurent Guerineau. Mais pour l’instant, nous avons choisi l’option cloud afin d’accélérer la mise sur le marché.

Une fois envoyé vers le cloud, la donnée est traitée pour l’analyse modale. Puis une autre plateforme prend le relais. “Nous ne sommes en aucune façon un expert du génie civil et nous ne le serons jamais, précise Laurent Guerineau. Cela ne relève pas de notre domaine de compétence. Donc pour les marchés français et italien, nous avons établi un partenariat avec Apave. Ce groupe possède plus de dix ans d’expérience dans le contrôle des ouvrages par analyse modale. Leur solution AP’Structure s’interfacera avec S-lynks. Elle prendra en entrée les données traitées pour ensuite effectuer le diagnostic quant à la santé de la structure. L’information terminera sur un tableau de bord consultable par le gestionnaire d’ouvrage. Drapeau vert : tout va bien. Drapeau orange : changement observé dans le comportement de la structure. À vérifier. Drapeau rouge : problème critique repéré. Fermer la structure. Procéder à inspection.

 

Localisation de dommages

Quant à la collaboration amorcée avec Inria, elle va sans aucun doute continuer. “Maintenant que nous avons appris à nous connaître, nous réfléchissons aux modalités pour renforcer et pérenniser nos relations, confirme Laurent Guerineau. Notre entreprise a bien l’intention de rester connectée à la recherche. Nous avons des cas d’usage qui pourraient intéresser l’équipe I4S. De leur côté, les scientifiques développent d’autres algorithmes prometteurs que nous pourrions utiliser.” Comme par exemple ? “Ne pas seulement détecter l’existence d’un endommagement mais aussi parvenir à le localiser, indique Michael Döhler. Pour ce faire, il faut coupler l’analyse modale avec un modèle physique de la structure. C’est l’un de nos axes de recherche depuis plusieurs années. Un autre défi porte sur la robustesse de l’algorithme aux variations environnementales naturelles. Un changement de température par exemple va avoir un impact sur la structure” et donc compliquer l’analyse. “Nous progressons dans la manière de résoudre ce problème.”

  • Basée près de Nantes, Sercel est une filiale de CGG, une entreprise de géosciences spécialisée dans l’exploration du sous-sol pour l’industrie gazière et pétrolière.
  • Implantée à Rennes, I4S (Inference for Structures) est une équipe d’Inria et du laboratoire COSYS-SII de l’Université Gustave Eiffel.

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