Surveiller les ouvrages en zone sismique de Colombie-Britannique

Dans l’ouest canadien, sur la côte Pacifique, la Colombie-Britannique connaît de fréquents séismes. Le Ministère des Transports et des Infrastructures de la province et l’université (UBC) ont lancé ensemble un programme pour instrumenter les ponts et autres ouvrages afin de surveiller les dégâts potentiels après ces tremblements. Dans ce cadre, Inria collabore avec UBC pour introduire des techniques innovantes de surveillance de structures (SHM) permettant de mieux analyser les données fournies par les capteurs.


Image par Jörg Vieli de Pixabay

Deux grandes plaques tectoniques s’affrontent à 100 kilomètres au large de la Colombie-Britannique. Résultat :  plus de 500 séismes par an. Dans les zones les plus à risques, le Ministère des Transports et des Infrastructures gère pas moins de 2 500 ponts. Si certains sont endommagés, cela peut compliquer l’évacuation des populations et la circulation des services d’urgence. D’où l’idée de doter ces ouvrages de capteurs, en particulier des accélomètres, capables de transmettre des informations sur l’état de la structure. En collaboration avec le centre de recherche en génie parasismique (EERF) dirigé par le professeur Carlos Ventura à l’UBC, le Ministère a instrumenté un certain nombre d’ouvrages et créé le British Columbia Smart Infrastructure Monitoring System (BCSIMS) : un service de surveillance accessible via Internet. Et c’est là qu’Inria intervient.

“Nous sommes en contact avec le laboratoire du professeur Ventura depuis de nombreuses années. Nous menons des recherches très complémentaires. Nos collègues canadiens possèdent une expertise reconnue en génie civil. De notre côté, nous concevons des méthodes de surveillance qui présentent un bon fondement théorique. Nous sommes donc intéressés par le fait de pouvoir les développer et les tester sur des cas réels comme ceux du BCSIMS,” explique Michael Döhler, membre de I4S, une équipe de recherche commune à Inria et IFSTTAR, l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. .

Analyse vibratoire

“Nous nous intéressons particulièrement aux vibrations enregistrées sur la structure. Typiquement, sur un pont, elles sont engendrées par le vent ou la circulation. On ne peut pas mesurer cette excitation ambiante. Mais on peut mesurer la réponse de la structure à cette excitation.” Ainsi, en analysant les vibrations, et en particulier les déformées modales (la façon dont une structure réagit à différentes fréquences), on peut indirectement déduire de l’information sur la santé de l’ouvrage. “Nous comparons le jeu de données avec un précédent enregistrement effectué à un moment où nous savons que la structure était en bon état. Si les vibrations ont changé, alors il y a un changement dans la structure et donc un problème : hauban cassé, tassement des fondations, ou autre. C’est comme une signature.”

Localiser les dégâts

La première phase de ces travaux vise à déterminer si, oui ou non, une structure est effectivement endommagée. Mais les scientifiques veulent aller beaucoup plus loin. “Si les ingénieurs du génie civil peuvent nous fournir un modèle de la structure, un modèle qui nous permette de corréler les données vibratoires et les propriétés physiques de cette structure, alors nous pouvons envisager une analyse plus approfondie. Ce qui nous intéresse en particulier, c’est de parvenir à localiser les dégâts.” Cette deuxième phase vient de faire l’objet d’une thèse de doctorat par Saeid Allahdadian. Financée par l’UBC, co-encadrée par Carlos Ventura et Michael Döhler, cette thèse a bénéficié d’une bourse Globalink Research Award accordée par Mitacs, un organisme qui soutient la mobilité des doctorants vers et depuis les universités canadiennes. Inria est membre de ce programme depuis 2014. L’accord a été renouvelé en 2019.
“Saeid Allahdadian a passé 4 mois ici avec nous à travailler sur les aspects les plus théoriques de sa thèse. Cela nous a conduit, pour la première fois, à utiliser notre méthode de localisation en employant des données expérimentales. Pour nous, c’est un pas de géant.

Jusqu’à présent, nous n’utilisions que des données simulées. L’UBC possède une maquette d’immeuble à laquelle plusieurs dégâts ont été appliqués. Ensuite, notre méthode devait retrouver ces endommagements en utilisant les données des capteurs et le modèle physique de la structure. Et cela a marché ! Nous sommes très satisfaits. C’est la première étape vers une application réelle. Cela montre aussi la grande complémentarité de nos deux équipes de recherche.”

Travailler sur une vraie structure

Après le diagnostic vibratoire sur des maquettes, les scientifiques vont désormais appliquer leurs techniques à de vraies infrastructures. “Cette recherche se déroule dans le cadre d’une nouvelle thèse financée par l’UBC et soutenue par Mitacs. Le doctorant Alexander Mendler passe six mois avec nous. Le but est de localiser les dégâts sur un pont dont un ancrage de câble est endommagé et doit être changé. Nous souhaitons valider nos algorithmes et voir jusqu’à quel point ils fonctionnent sur une structure réelle. C’est un défi car nous devons gérer de grands modèles qui comprennent beaucoup d’éléments. C’est numériquement complexe. Il nous faut aussi adapter nos méthodes au peu de données disponibles. Si nous n’avons que, disons, 10 capteurs sur un pont de 500 m de long, on ne peut pas s’attendre à localiser les dégâts au mètre près. Avec Alexander, nous voulons d’ailleurs ré-étudier ce problème des capteurs car il entraîne des répercussions sur tout le reste. C’est important de se demander ce que nous pourrions trouver comme endommagement avec ces capteurs, et à quel endroit. L’idée ensuite est d’optimiser le nombre et la position de ces appareils de façon à fournir aux ingénieurs du génie civil les informations les plus pertinentes.”

À long terme, les scientifiques voudraient “proposer une méthode générique qui fonctionnerait en boîte noire et que nous n’aurions pas à modifier manuellement pour chaque pont. L’utilisateur fournirait le modèle physique, la position des capteurs et, à partir de là, l’application fonctionnerait automatiquement.”

Quantifier les dégâts

Et comme les verrous scientifiques ne manquent pas dans ce domaine, Michael Döhler étudie déjà l’axe de recherche suivant : “identifier la nature des dégâts et la quantifier. Est-ce que le câble est rompu ? Quelle est la taille des fissures sur le tablier ? C’est un gros défi car on se trouve face à des structures dont les modèles physiques sont vraiment très complexes.”

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