Un outil d’aide à la décision juridique

Peut-on extraire la logique contenue dans les normes et textes juridiques afin d’aider les magistrats à fonder leurs jugements ? C’est tout l’objet d’une collaboration qui débute entre la Cour de Cassation, Inria, l’ENS Cachan, l’Université de Rennes 1 et l’Université de Turin, comme l’explique Guillaume Aucher, coordinateur du projet.

« Un jugement, c’est un raisonnement. Et des raisonnements, les magistrats en construisent constamment pour étayer leurs assertions et décider de la conformité au droit. Pas surprenant donc que des juristes envisagent d’intégrer dans leur métier des outils fondés sur la logique,” résume Guillaume Aucher, chercheur-logicien à l’Irisa et au centre rennais d’Inria. La Cour de Cassation explore actuellement la façon dont un logiciel d’aide à la décision pourrait un jour venir faciliter le travail des juges. “Nous avons constaté une forte convergence entre les besoins du monde juridique et nos travaux de recherche.« 
Située au croisement de la logique déontique et des systèmes normatifs, la discipline concernée mobilise “des informaticiens, des logiciens, mais aussi des philosophes, des chercheurs venus des sciences cognitives, quelques économistes, des linguistes…” Comment des personnes aussi diverses parviennent-elles à dialoguer ? Grâce à la logique justement. C’est elle qui nous sert de lingua franca.
Le thème de recherche recouvre plusieurs aspects. “L’un est conceptuel, presque philosophique. Nous essayons d’analyser les normes, les textes de loi, les réglementations avec des outils et des formalismes logiques.” Le but : “comprendre et mettre en valeur les concepts sous-jacents à l’essentiel pour parvenir ensuite à une automatisation de ces formalismes par la création d’outils logiciels. Dans les années 1980 déjà, des chercheurs britanniques avaient utilisé Prolog pour entreprendre une formalisation du British Nationality Act ».
Systèmes normatifs
Mais le domaine comporte aussi des aspects plus technologiques. “À mesure que les activités humaines se transposent dans le monde numérique, il devient de plus en plus difficile de maîtriser cet univers. On a donc besoin de normes. Il faut pouvoir les définir d’une façon appropriée et les appliquer d’une manière sûre. Pour faire face à ce problème devenu très prégnant, certains chercheurs développent des ontologies et des logiciels pour les systèmes normatifs. Dans le projet que nous débutons, nous prévoyons d’utiliser par exemple Eunomos, un logiciel basé sur une ontologie élaborée à l’Université de Turin, par mon collègue Guido Boella, pour la recherche et
la classification de textes réglementaires.
Les problèmes du droit fournissent aux chercheurs un champ applicatif intéressant en raison de la complexité des logiques qui s’y enchevêtrent. “Certes, la Cour de Cassation pourrait recourir aux méthodes classiques d’ingénierie logicielle pour traiter les contentieux qui lui sont soumis. Cette solution fonctionnerait à court terme. Pourtant, je pense que cela finirait par bloquer. ” Pourquoi ? “ Parce que le raisonnement juridique présente une grande finesse et une grande diversité. Il doit satisfaire de nombreuses propriétés parfois difficilement exprimables en langage naturel. Des problèmes apparaîtront donc quand il s’agira de considérer des cas complexes. À tel point qu’à un moment, l’informaticien devra probablement réinventer sans même le savoir des choses déjà faites en logique. Mieux vaut donc adopter dès le départ une approche plus théorique.« 

Selon certains logiciens, Le développement des syllogismes d’Aristote a été, à l’origine, motivé par les Sophistes par des considérations d’ordre juridique : pouvoir confondre l’opposant dans une discussion. Les Sophistes étaient les premiers avocats. On voulait déterminer quels étaient les raisonnements valides qui permettaient de soutenir qu’une assertion était véritablement fondée.
Guillaume Aucher

>>>>>> En savoir plus : https://hal.inria.fr/hal-02273483

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