« Votre cerveau est un super-héros », un livre d’Anatole Lécuyer

Comment faire croire à un humain qu’il évolue dans un monde virtuel ? C’est la question que se pose Anatole Lécuyer, chercheur au centre Inria Rennes – Bretagne Atlantique. Le scientifique publie ces jours-ci un livre grand public dans lequel il raconte son étrange métier d’illusionniste et les non moins étonnantes propriétés de notre cerveau.

© Inria / Photo Kaksonen

Maths sup. Maths spé. École d’ingé. Premier job dans une société d’aéronautique. Et Anatole Lécuyer … rend son tablier. L’envie d’aller taquiner la réalité virtuelle est plus forte. Elle le pousse vers la recherche. Doctorat en poche, le voici recruté au centre Inria de Rennes. Bientôt même à la tête d’une équipe. Vingt ans plus tard, premier coup d’oeil dans le rétroviseur. Au compteur : plus de 200 publications scientifiques et une participation à des inventions en pagaille. Quelques-unes ont marqué les esprits : la main à six doigts, les yeux dans le dos, ou les images tactiles, que l’on peut toucher avec les yeux !

La science avec une pincée de fantaisie ? « Dans notre équipe, on aime bien les choses qui sortent un peu du cadre, assume le chercheur. Les résultats scientifiques ne sont pas des œuvres d’art, mais on ne s’interdit pas d’essayer d’y introduire une dimension artistique, une part de poésie. Appelons cela le plaisir créatif. »

Au cœur d’un laboratoire de réalité virtuelle

 

Couverture Votre cerveau est un super-héros

Le livre qui paraît dans la collection HumenSciences s’adresse au grand public. “Je n’y aurais jamais pensé. C’est une éditrice qui est venue me chercher. ” Bonne pioche. Le récit se dévore d’un trait. Le lecteur plonge au cœur d’un laboratoire de réalité virtuelle.

Enchaînement de prouesses technologiques, certes, mais pas que…“Nos recherches sont résolument orientées vers l’être humain. Nous construisons des interfaces immersives qui essayent d’emmener ou de charmer l’utilisateur sensoriellement ou cognitivement. Pour avoir une chance que cela fonctionne, nous sommes obligés de nous intéresser d’abord à l’humain. Il faut le connaître. Comprendre le fonctionnement de sa perception et sa cognition.

Et là, les surprises commencent. Exemple : quand une personne marche, son oreille interne joue les centrales inertielles. Elle capte tous les mouvements du corps. Oui. Et alors ? Et bien, comme le révèle le livre, un minuscule courant électrique sur le bon nerf peut suffire à perturber cette belle mécanique.“Votre corps se met à s’incliner vers la droite ou vers la gauche de manière irrépressible. J’ai pu moi-même tester une démonstration à l’université de Tokyo. Vous êtes équipé de deux électrodes, une derrière chaque oreille. Vous êtes ensuite prié d’avancer en ligne droite. Derrière vous, un opérateur manipule des joysticks qui contrôlent les impulsions électriques. Et vous voilà, bien malgré vous, téléguidé et dérivant un coup à droite, un coup à gauche ! ” Comment est-ce possible ? “Chaque impulsion électrique génère une perception d’inclinaison dans une direction.  Votre cerveau compense cette inclinaison factice en vous faisant vous pencher dans la direction opposée. Mais comme vous êtes en train de marcher, cela vous fait dévier. Avec ce dispositif, vous devenez une marionnette, sous l’emprise de quelqu’un d’autre ! ”

Vertige virtuel

Retour à Rennes. Promenade dans Immersia  , une des plus grandes salles de réalité virtuelle du monde. “Imaginez un cinéma dont les murs latéraux et le plancher seraient aussi des écrans. Équipé de lunettes stéréoscopiques, et grâce à l’effet de relief, vous voilà littéralement projeté dans la scène, avec une sensation d’immersion très puissante. ” Vertigineuse même…“Il suffit de vous placer au bord d’un précipice virtuel et de vous demander de sauter dans le vide. Il y a peu de chances que vous le fassiez de gaieté de cœur. Moi-même, alors que j’ai déjà fait l’essai de nombreuses fois, je ressens toujours une petite appréhension, comme si mon corps ou mon cerveau résistaient et voulaient m’empêcher de commettre cette folie, pourtant virtuelle ! ”

Cela dit, les chercheurs ont encore du pain sur la planche. “Imaginez que vous partez en vacances. Vous vous prélassez sur une plage. Le sable brûlant. Les rayons du soleil. Le ciel bleu. Les cocotiers. Les odeurs du large. Le bruit du ressac. La caresse du vent. Vous êtes assailli par une multitude de sensations qui déclenchent à leur tour quantité d’émotions. Comment voulez-vous recréer technologiquement cette expérience sensorielle du monde dans une simulation ? C’est un défi immense et incroyablement complexe ! Il y a une imbrication de phénomènes psychologiques, perceptifs et cognitifs que nous encore sommes loin de maîtriser.

Miroir du cerveau

Ce travail exige une approche pluridisciplinaire en lien très fort avec les neurosciences. La collaboration fonctionne d’ailleurs dans les deux sens car “la réalité virtuelle est aussi un nouveau paradigme expérimental très puissant pour étudier le cerveau, la psychologie et les comportements humains . ” De cette féconde hybridation vont naître de nouvelles interfaces « cerveau-machine ».

En témoigne une autre invention : le Mind Mirror, ou Miroir du Cerveau. Équipé d’un casque électroencéphalographique qui s’enfile comme un bonnet de bain, l’utilisateur voit son visage sur un écran d’ordinateur. En incrustation, par réalité augmentée, apparaissent les différentes zones de son cerveau en plein travail. Ces zones s’allument et s’éteignent au gré de l’activité mentale. “Si vous inclinez légèrement la tête, vous pouvez admirer votre lobe frontal en pleine action. Et là, plus haut,voilà votre cortex moteur. Si vous bougez les doigts, cette zone devrait s’activer dans le miroir. Respirez maintenant et essayez de vous détendre. Si vous réussissez à vous relaxer profondément, vous devriez apercevoir une splendide décharge d’onde alpha : une grande vague rouge qui se propage à la surface de votre cerveau, en allumant une bonne partie de vos aires corticales.

Startup

Que deviennent toutes ces recherches ? “Parfois, nous avons de beaux résultats mais qui débouchent finalement sur… pas grand-chose. Et parfois, c’est tout le contraire. Une idée fait son chemin pour aboutir à un produit très concret qui va servir aux gens. Grâce aux travaux de notre équipe, une startup a notamment pu concevoir un produit médical certifié de neurofeedback pour soigner le déficit d’attention (TDAH) dont souffrent certains enfants.”

Autre succès de l’équipe rennaise : OpenViBE, un logiciel open source pour analyser les signaux cérébraux et les associer ensuite à des commandes directes vers des machines. “Avec plus de 7000 téléchargements par an, c’est un hit en matière de logiciels scientifiques. En quelque sorte, il nous a échappé. Il vit sa vie et c’est tant mieux. Nous sommes ravis. Il y a des gens qui s’en servent pour faire des choses allant bien au-delà de tout ce que nous avions pu imaginer au départ. Au final, c’est très gratifiant.

Avant-goût d’un monde virtuel bientôt à portée de clic, le livre fourmille aussi d’anecdotes sur les coulisses d’un laboratoire. “On essaye d’avoir des grandes idées et, en même temps, il y a le quotidien comme pour n’importe qui au boulot. On discute au coin de la machine à café avec les collègues. La recherche est faite de rencontres, d’échanges, d’imprévus, de hasards, de bifurcations, de petits défauts qui viennent en travers de nos projets. Et les résultats scientifiques s’expliquent aussi par tout cela. Je voulais raconter tous ces aspects assez amusants d’une manière un peu plus personnelle. J’espère que ce récit contribuera à encourager des vocations chez les jeunes et qu’il leur donnera l’envie de faire de la recherche.

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