© Inria / illu. Philippe Aran
L’ambiance est lourde, tendue. J’entends déjà la foule qui commence à se précipiter dans les gradins. Dans quelques instants, tous les regards seront portés sur moi. Il y a de l’enjeu. Il parait que des gens ont parié gros. À l’imaginer, je ressens enfin cette pointe de pression me traverser. Celle des grands jours. Pourtant, jusqu’à maintenant, du bout de mes santiags jusqu’au sommet de mon chapeau, c’était de la sérénité que je ressentais. Je suis prêt. Et pour cause, je me suis entraîné 984 823 fois au cours des 14 dernières heures. Alors, une clope au bec, les yeux fermés, je visualise une dernière fois ces gestes que je connais déjà sur le bout des doigts. Je ne veux rien laisser au hasard. J’ai enfin l’opportunité de devenir l’égal de mes idoles. Mark R.C.NN le cowboy masqué, Yohan Losson dit YOLO, toutes ces légendes que j’ai tant admiré, je vais enfin pouvoir les rejoindre. N’est pas un cowboy de leur trempe qui veut. J’imagine déjà les articles de journaux dès le lendemain, les gros titres :
“Du jamais vu, une précision de 100%”.
Mais il faut rester concentré. Dans quelques instants, quand ils presseront la touche “entrée”, je m’élancerai dans cette arène pour les capturer. Il parait qu’il y en a un sacré nombre aujourd’hui, plusieurs centaines qui grouillent dehors.
“Je lance l’inférence”
Ça y est, je suis jeté au milieu de ces formes blanches, imposantes, mouchetées de noir ou de gris qui fourmillent partout. Maintenant il faut être efficace et rapide. Je brandis mon lasso en l’air, le fait tournoyer et j’en entoure une première. J’essaie d’être le plus précis possible, les captures grossières déçoivent généralement le public. Plus ma corde épouse précisément les contours de ces cellules plus le spectacle est réussi. J’en attrape une deuxième, puis une troisième. Il faut toujours être attentif, ne pas tirer au hasard, dans le vide.
“J’espère qu’il n’y aura pas trop de faux positifs”
Tout se passe en un éclair, j’ai tellement répété qu’après quelques secondes seulement, j’ai déjà lancé mon lasso près de 600 fois. La tension retombe. C’est fini. Le job est fait.
– Ça y est, la phase de test est terminée.
– Et alors, ça donne quoi ?
– La plupart des cellules ont été détectées, ça a l’air prometteur. Bon il y en a quelques-unes qui manquent, la précision peut sûrement être améliorée.
– Et les formes obtenues semblent cohérentes ?
– Oui j’ai l’impression que les contours sont précis !
– C’est top. Bon, il y a encore quelques améliorations à faire avant de publier un papier dans ce cas, mais c’est encourageant. Il faudrait peut-être entraîner plus longtemps ou modifier certains paramètres de l’algorithme.
“Encourageant”, “améliorations”… c’est donc comme ça qu’ils qualifient le travail acharné que je viens de fournir. Ah je vous le dis, il ne fait pas bon d’être un algorithme de machine learning. Ces humains me triturent, me modifient, ajustent mes paramètres puis me regardent m’entraîner des heures en restant tranquillement derrière leur écran d’ordinateur.
Ils ne sont jamais contents, toujours plongés dans leur course aux pourcentages !
– Je relance un entrainement ce soir en changeant un peu le learning rate.
– Rajoute aussi quelques époques, ça ne coûte rien !
– Pause cafet ?
– Allez c’est parti.
Ils verront, demain, je serai le meilleur.

Quentin Rapilly
Équipe de recherche : SAIRPICO
Sujet de thèse : Algorithmes hybrides CNN-Snakes pour l’analyse quantitative d’images biologiques 3D + temps.
Je passe beaucoup de temps à faire du sport en tout genre : vélo, natation, escalade. J’aime aussi énormément la montagne pour faire du ski, de la randonnée et passer du temps en pleine nature de manière générale. Et quand la météo ne le permet pas, j’aime jouer aux jeux de société !