Où est l’avion ?

© Inria – Margaux Lhuissier

Où est l’avion ? 

L’avion s’envole et se fout bien de ce que pourrait dire le monde, des gens si mûrs qui ne rêvent plus. Putain ! rien n’est plus beau que ces dix mille ans de lutte et de larmes humaines, toutes pointées dans chaque clou dedans le corps béni de mon avion ! Je lui enfoncerais bien, moi aussi, un peu de tôle rouillée tout au bout de son crâne, tout juste pour le couronner : Prince des connaissances et des Folies Humaines. Que l’on m’en donne le mandat – je serai faiseur de Rois – et je me lancerai avec lui, moi aussi je volerai, je volerai comme mon avion !

Parce que l’avion s’envole ?

L’avion est parti, et longues déjà les mers du Nord, caressant du bout de l’aile : et les vagues folles de Rimbaud et les vagues folles de Baudelaire ! Tiens regarde ici par ce hublot, les voici donc les mouettes euphoriques de nous courser, battant de leur corps crasseux, et nous tirant mollement la langue ! Pauvres pilotes insolents – nous vous ferons la course ! Elles contre nous, toutes groupées grossièrement comme : des ondes de Floquet-Bloch. Souvent nous perdrons, mais parfois nous gagnerons – moi au moins je pleure devant ces dix mille ans de science et d’histoire humaine.

Mais où sera l’avion ?

Mais mon avion est périodique : se répétant comme ça chaque jour. Nos vies. Bien sûr qu’aujourd’hui encore, j’ai bien travaillé. Demain sera pareil. Je suis un peu mon avion quand ce vent froid sur mon métal se propage, et partant de mon visage mécanique, et crevant dedans mon esprit engourdi. Nos vies. Je le sais, je le devine, on était jeune et parfois beau – on se pensait malin avec nos équations mal foutues – on en avait dans le ventre, le monde devant nous. Qu’avons-nous fait sauf nous répéter ? Nos vies. Tellement périodique que Fourier pourrait les décomposer. Ah sacré Fourier, casse-toi de là avec tes sinus, tes cosinus. Connard de Fourier ! Moi je me bats avec les armes que l’on me donne !

Mais l’avion ?

Papa, mon avion sera une pulsation qui bat et rebat à son rythme. Papa dessine-moi donc une machine pour mesurer mon cœur. Lui qui monte et descend, lui qui part et revient : sa mesure ne pourra être qu’en radians par seconde. Et ce temps devenu tellement précieux, dérivé miette par miette – millimètre par millimètre – fera naître mes équations. Et s’envolera mon avion.

Mais jusqu’où ira l’avion ?

Je ne sais pas. Je ne sais tellement pas où ira l’avion. Nous ne sommes que des ondes et Brillouin me l’a dit : dans ce monde périodique beaucoup d’ondes meurent. Oui j’aurais beau habiller mon avion des meilleures matières de la terre, abattre le pétrole – le faire voler aux idées nouvelles – Brillouin me l’a dit : dans ce monde périodique beaucoup d’ondes meurent. Mon avion s’élancera et tout évanescent disparaîtra. Tel est le sort des ondes qui jouent dans un monde périodique, Brillouin me l’a dit. Nous ne sommes que des ondes : Juliette aurait-elle aimé Roméo s’il était périodique ? Bien sûr que non. Papa, ma thèse ne parle même pas d’avions.

Mais l’avion tu m’avais dit l’avion !

Pour toi comme pour moi, cet avion est sacré, mais vole dans un ciel beaucoup plus vaste que notre ciel. C’est souvent le soir, fatigué, que je me pose sur une aile de mon avion, les jambes presque dans le vide, sans crainte, sans vertige : je contemple. Oui je contemple sans même savoir comment fait mon avion pour voler. Je m’en fous : tout comprendre c’est arrêter de rêver. Je veux rêver, au fond je suis un rêveur et mon avion n’est qu’un voyage, une étape, une vie. Cet avion c’est mon avenir. Parti de toi jusqu’ici, une vie qui fuse dans les étoiles, mon avion c’est un peu toi. Papa si cet avion te fait tant rêver surtout garde-le, garde-le pour toi !

Garde donc ton avion, j’ai tout compris, toi c’est des fusées que tu fais ! Des fusées dans les étoiles.


Lucas Rouhi

Équipe de recherche : I4S

Sujet de thèse :
«Modélisation de treillis à interactions distantes pour l’optimisation de méta structures basses fréquences»

J’aime la poésie, partant des histoires de Rimbaud, Brel et de Gauss, passant par le lyrisme de Ferré, Baudelaire ou Fourier, et arrivant toujours à la science absurde de Boris Vian.