© Inria / illu. Philippe Aran
Au commencement, Je créa la grille.
Or la grille était pleine, et les murs bloquaient tout passage, et le monde était dépeuplé.
Et Je dit : Que le chemin soit ; et le chemin fut tracé.
Puis Je dit : Qu’il y ait une onde de vie ; et l’eau emplit la voie.
Mais l’eau stagnait.
Alors Je dit : Que des ponts joignent les sources ; et les ponts apparurent ;
et l’eau se déversa par les ponts, et le courant s’établit.
Et Je nomma l’eau, Chance.
Et il y eut des passages.
Puis Je dit : Qu’un voyageur apparaisse dans un coin.
Et Je créa le voyageur, et l’origine fut établie.
Puis Je vit que le voyageur pouvait choisir de…
*toc toc toc*
– Petite pause ? Non ? Ça marche, à plus
…pouvait choisir de naviguer le courant.
Mais le voyageur n’avait aucun but ; alors Je plaça des objectifs dans son périple.
Et Je nomma ces objectifs, récompenses ; et le voyageur eut soif de récompenses.
Alors Je dit : Qu’il soit capable de faire des manœuvres ; et le voyageur put manœuvrer dans le courant.
Et je vit que cela était bon. Alors Je lui commanda de retenir le profit à chaque étape. Et le voyageur le fit ; et il commença à comprendre comment gagner beaucoup. Mais il était trop facile d’aller aux récompenses.
Et je vit que cela était bon. Alors Je lui commanda de retenir le profit à chaque étape. Et le voyageur le fit ; et il commença à comprendre comment gagner beaucoup. Mais il était trop facile d’aller aux récompenses.
Et Je vit que cela n’était pas bon.
Alors Je cassa des murs, et le courant devint plus difficile à naviguer.
Mais les récompenses étaient facilement accessibles.
Je vit que cela n’était pas bon. Alors Je remis des murs. Et…
– Tu sais où c’est le séminaire cet aprèm ?
– Ouais en Lipari je crois.
– Ok merci
…Je vit que cela était bon.
Mais le voyageur avançait petit à petit dans toutes les directions.
Je vit que cela était trop long ; alors Je lui apprit à condamner des cases ; et l’eau se répartissait ailleurs ; et il y avait moins de chemins.
Puis le voyageur commença à condamner des cases une par une ; mais cela était lent, et Je n’avais pas que ça à faire ; alors Je lui dit de se concentrer sur les cases plus utiles ; mais ce n’était pas évident lesquelles l’étaient ; et cela créa beaucoup de détours.
Tant pis. Il y avait plus urgent de toute façon. L’idi… Le voyageur vérifiait que l’eau se répartissait bien partout à chaque fois ; cela n’était clairement pas optimal ; alors Je lui dit de se concentrer sur les cases voisines.
Cela accéléra grandement le processus. Ouf.
Alors Je le téléporta au début pour essayer à nouveau. Mais le voyageur apparut dans un mur.
Oups. Je rectifia cela rapidement. Mais les murs s’étaient décalés à présent.
Je revint à la version précédente.
Le voyageur apparut à nouveau dans un mur. Je corrigea ça.
Des insectes commencèrent à grignoter les récompenses.
Je les chassa à coups de balai.
Mauvaise idée, ils se répandirent partout.
Je m’arma de mon meilleur insecticide et les chassa un par un de mon monde.
Puis je recommença de zéro ; le voyageur apparut tête en bas et se noya.
Je recommença de zéro ; les murs étaient décrépits.
Je recommença de zéro ; la barque avait une fuite.
Je recommença de zéro ; pas de chemin vers les récompenses.
Je recommença de zéro ; pas assez d’eau.
Je recommença de zéro ; trop d’eau.
Je recommença de zéro ; les ponts montaient comme des ascenseurs.
Je recommença de zéro ; les récompenses faisaient de la brasse au milieu des flots.
Je recommença de zéro ; le voyageur apparut dans un mur
*BONG*
…
– Ça va Aymeric ?
– Non.
Un instant de silence.
Puis un long soupir.
La tête contre la table, mon regard lourd glisse sur le clavier, la souris, les écrans, les papiers qui en ornent la surface.
Lentement, je repousse ma chaise et me lève, attrape ma tasse et sors me chercher de l’eau.
Virage à gauche, tout droit pendant quelques pas, virage à droite, ouvre la porte, j’y suis.
Alors que les gorgées descendent dans mon estomac, mes pensées arrêtent de tanguer, ma frustration s’évacue tranquillement.
Je jette un coup d’œil au miroir : hmm, il a bonne mine notre grand architecte.
Calmé, je repars m’asseoir sur mon trône, et, ma couronne à musique sur la tête, mon sceptre dans la main droite, le verbe au bout des doigts: Je recommença de zéro.

Aymeric Côme
Équipe de recherche : DEVINE
Sujet de thèse : Techniques d’approximation pour la vérification de lois de contrôle issues de l’aprentissage
J’ai toujours suivi et pratiqué le tennis avec beaucoup d’envie, et maintenant je me suis mis à l’escalade, en salle ou en extérieur. Je lis beaucoup également, de la science fiction, de la fantaisie mais surtout de la littérature classique française ou russe. J’aime les cailloux.