Un drôle de pied-à-terre

© Inria – Margaux Lhuissier

J’ai parcouru le monde et vu des choses extraordinaires, des merveilles qui défient l’imagination. Mais rien, absolument rien, ne peut être comparé à ce que j’ai découvert lors de mon dernier voyage. Imaginez un monde plongé dans l’obscurité la plus totale, s’affairant dans le silence le plus absolu. Une société invisible, discrète, mais essentielle. Lorsque je suis arrivée, je n’ai d’abord rien vu, rien entendu. J’ai dû apprendre à voir avec mes mains, à entendre avec mon nez. Ici, on ressent les vibrations, on interprète les odeurs, on capte les murmures moléculaires. Et croyez-moi, il y en avait, des choses à voir et à entendre, quand on apprenait à le faire autrement !

Dans cette société, chacun a un rôle bien précis. Certains nettoient, d’autres construisent, transportent la nourriture, gèrent l’eau ou assurent la sécurité. Une ruche foisonnante où chacun dépend des autres, malgré leurs grandes différences – car ici, personne n’a la même taille, ni la même forme qu’un autre. Et puis, il y a les Géants. Imposants. Majestueux. Nous ne pouvons interagir qu’avec leurs pieds, le reste de leur corps se perdant dans la lumière, loin, très loin au-dessus de nous.

Durant mon séjour, j’ai posé mes valises et pris racine auprès d’un petit groupe d’habitants vivant en parfaite symbiose avec l’un de ces Géants. La symbiose, c’est un art de vivre. Myco, très sociable, faisait marcher son réseau pour obtenir les meilleurs plans nutritifs du moment, tandis que Proteo triait, ordonnait, redistribuait chacune des trouvailles de son ami. Cyano, boute-en-train, apportait un petit coup de boost quand le moral des troupes faiblissait. Et puis, Firmi, la dure à cuire, veillait au grain, protégeant sa petite famille avec un zèle quasi militaire. Toutes et tous profitaient de la présence bienveillante du Géant, qui leur offrait abri et douceur de vivre.

Tout allait bien… jusqu’au jour où ce fragile équilibre fut bouleversé.
Une Géante, chétive et titubante sur ses pieds tremblotants, fit irruption dans leur petit coin de terre, manquant de peu de tout écraser sur son passage et semant la panique. Elle venait de loin, d’une terre ravagée. Sa propre communauté, autrefois florissante, avait été détruite par une guerre silencieuse – non pas de feu, mais de poisons invisibles et destructeurs, ciblant les êtres rampants et volants de tous genres. Une guerre sans éclats, mais aux ravages profonds, ne laissant derrière elle qu’un champ de ruines toxiques. La Géante avait survécu, oui, mais seule. Et dans ce monde fait d’interdépendances, la solitude est une lente agonie.

Alors, tout le monde mit le pied à l’ouvrage pour l’aider. Chacun y alla de sa spécialité, fertilisant le débat.

– Moi, je vais l’aider à trouver à manger ! s’exclama Myco.
– Attends, elle a l’air blessée. Il faut peut-être d’abord l’aider à se défendre, rétorqua Firmi.
– Non, non, ce qu’il lui faut, c’est un petit shot d’azote pour la remettre d’aplomb ! s’enthousiasma Cyano.

Mais rien n’y faisait. La Géante rejetait toutes leurs propositions les unes après les autres.

– Cette nourriture est trop acide, je la digère mal ! se plaignit-elle à Myco.
– Je sais me défendre moi-même, j’ai surtout besoin de quelqu’un pour m’aider à sonner l’alerte, précisa-t-elle à Firmi.
– Oh oui, un petit remontant me ferait du bien, mais l’azote pur, ça me fait mal à la tête, avoua-t-elle à Cyano.

La communauté se démenait, mais rien ne convenait. Chacun semblait trop ceci, ou pas assez cela. Il fallait trouver l’accord juste, la combinaison rare, celle qui fait que le tout vaut plus que la somme des parties. Mais trouver chaussure à son pied de Géante relevait de la mission impossible. C’est alors que j’eus une idée.

– Heureusement que je suis venue équipée ! m’exclamé-je.

Je brandis hors de ma besace un outil bien particulier : un bijou de technologie fait d’algorithmes et de données récoltées, capable de prédire les meilleures complémentarités entre les différents membres de la société et la Géante. Un genre d’application de rencontres, mais version moléculaire.
Swipe à gauche, swipe à droite… Après plusieurs essais – et quelques rendez-vous catastrophiques – ce fut le coup de foudre ! Nous avions enfin trouvé LA combinaison idéale : un petit groupe parfaitement adapté à ses besoins, et vice versa.
Ensemble, ils construisirent une nouvelle communauté harmonieuse. La Géante reprit des forces, grandit, ses pieds devinrent plus résistants, et elle s’épanouit enfin.

Et c’est ainsi, mes amis, que j’ai sauvé mon pied de navet !


Moana Aulagner

Équipe de recherche : DYLISS

Sujet de thèse : Je cherche à prédire des associations de bactéries et de champignons – naturellement présents dans le sol – capables de renforcer la croissance et les défenses de plantes, afin de proposer une alternative durable aux pesticides. Pour cela je modélise des problèmes d’optimisation combinatoire qui intègrent des données multiomiques.
«Modélisation du microbiote d’espèces végétales pour la reconstruction de communautés microbiennes synthétiques (SynComs) avec des effets de biocontrôle et biostimulation»

J’aime construire à partir de matériaux de récup, surtout le bois, sur lequel je peux aussi dessiner et peindre. J’aime la cuisine et les plats très épicés. J’adore les jeux de société – je suis en train de créer le mien. Dès que j’ai du temps de libre, je planifie ma prochaine randonnée en montagne.