Définitions de l’autisme: causes et diagnostics

L’approche psychodynamique, celle de la psychopathologie psychanalytique contemporaine à laquelle nous prenons part, définit un fonctionnement spécifique de la pensée autistique. En premier lieu, elle repère un défaut du symbolique initial, c’est-à-dire du recours au langage1. Pour les sujets autistes, cela implique des difficultés dans la compréhension et l’utilisation des références symboliques que le langage permet autrement d’enserrer ; notamment l’espace, le corps et le temps. Ils ont donc affaire à un monde sans délimitation où tout se confond (endroit, envers, dedans, dehors). S’ils ne parviennent pas à instaurer une limite, ils se trouvent envahis dans leur corps propre, sous la forme de regards intrusifs, de demandes excessives (regard et voix sont de trop), sans la possibilité de venir les localiser. C’est cet envahissement qui peut conduire certains sujets à adopter des conduites auto-mutilatoires, voire hétéro-agressives, visant à instaurer cet écart lorsque celui-ci n’est pas symbolisable.

Afin de se protéger de cet envahissement, ils peuvent adopter une certaine économie de jouissance, comprenant une rétention des objets pulsionnels (vocal, oral, anal, scopique), une tendance à l’immuabilité, une fuite de l’autre, un repli sur soi, susceptible de les entraîner dans une profonde solitude. Léo Kanner, psychiatre pionnier dans l’établissement des définitions du syndrome autistique, énonçait déjà en 1943 que « toutes les activités et paroles de ces enfants sont en permanence régies de façon rigide par le désir très fort de solitude et d’absence de changement. […] Il existe d’emblée un repli autistique extrême qui, chaque fois que c’est possible, fait négliger, ignorer, refuser à l’enfant tout ce qui lui vient de l’extérieur. Un contact physique direct, un mouvement ou un bruit qui menacent d’interrompre cet isolement sont traités « comme s’ils n’existaient pas » ; si cela ne suffit plus ils sont alors douloureusement ressentis comme des intrusions bouleversantes. »2

A partir de ce premier repérage, l’approche psychanalytique contemporaine situe les capacités supplétives du sujet autiste du côté de l’élection d’une affinité, d’un intérêt spécifique, d’un objet particulier, qui met l’accent sur les forces ou les talents des individus autistes. Par cette élection, le sujet se construit un « bord » sur mesure, à même d’opérer une fonction de délimitation entre lui et le monde. Cet objet hors-corps, ou « affinité », va permettre de localiser la jouissance envahissante en dehors du corps, d’introduire un écart entre le sujet et autrui, permettant au sujet un accès au langage, en favorisant l’émergence d’un « je ». En d’autres termes, l’affinité va faire office de point de référence pour le sujet, d’outil de conversion, de traduction, qu’il va déployer et articuler, dans le but de compenser l’impossibilité d’un recours au langage; « que ce soient les fils avec lesquels se trimbale l’enfant, que ce soient les différentes constructions produites par les enfants autistes, partout c’est un organe supplémentaire que l’enfant tente, au prix de sa vie, s’il le faut, d’introduire comme l’organe qui conviendrait au langage dans son corps »3.

Ce bord se caractérise par trois éléments imbriqués les uns avec les autres, l’« objet autistique, l’îlot de compétences, le double »4. On retrouve ainsi l’affinité en tant qu’elle permet de développer des connaissances autour d’un objet spécifique et de toutes ses articulations, mais également le double, mis en fonction lorsque le sujet intègre la dynamique d’un objet ou d’un être vivant afin de pallier la sienne. Lorsque ce bord se déplie et se complexifie, il permet l’avènement d’une position d’énonciation, la délimitation d’un schéma corporel, l’instauration d’un lien pacifié à l’autre et le développement d’un socle de connaissances sur le monde, jusqu’à la création d’un « espace multidimensionnel »5 grâce auquel le sujet peut circuler et interagir.

1Cherel, M. (2023). « La perspective créatrice de l’autisme : le cas extraordinaire de l’autiste peintre Iris Grace ». L’Évolution Psychiatrique, 9 September 2023.

2 Kanner L, Rosenberg, M. (1990). Les troubles autistiques du contact affectif. Neuropsychiatrie De L’enfance Et De L’adolescence, 38, 65‑84.

3 Laurent É. Réflexions sur l’autisme. Bulletin Groupe Petite Enfance, 10. Paris: Nouveau réseau Cereda; 1997. p. 40–5.

4 Maleval, J-C. L’autiste et sa voix. Seuil, 2009

5 Op.cit. Cherel, M. « La perspective créatrice de l’autisme : le cas extraordinaire de l’autiste peintre Iris Grace »

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