Dans les 20 dernières années, la robotique aérienne a fait un bon de géant. Mais si les drones s’acquittent désormais de multiples missions, ils ne peuvent toujours pas effectuer de travaux physiques comparables à ce que les robots terrestres savent faire. Porté par le scientifique Marco Tognon au Centre Inria de l’Université de Rennes, le projet FlyHandyBot vise à proposer de nouvelles méthodologies qui permettraient justement l’émergence de véritables drones de labeur.
“Retrousser leurs manches. Se salir les mains. Empoigner des clés à molette. Dévisser des écrous. Actionner des leviers. Déplacer des objets. Interagir avec leur environnement. Voilà ce que nous voudrions que nos robots aériens soient capables de faire. Autrement dit : du vrai travail physique. Il ne s’agit pas juste d’améliorer la façon de planifier et commander les mouvements de ces engins. Nous parlons d’un nouveau genre de robot pouvant effectuer de vraies tâches. Dans certains domaines, cela pourrait changer la donne. Pour travailler au sommet de bâtiments, de ponts, de lignes à haute tension ou d’éoliennes, il faut des câbles, des échafaudages, voire des hélicoptères. C’est souvent coûteux. Parfois aussi dangereux pour la personne qui intervient. À ce niveau, le robot aérien peut s’avérer fort utile et apporter une vraie plus-value,” résume Marco Tognon.
Telekyb3
Ces travaux s’appuient sur Telekyb3, un framework pour la conceptions de robots aériens. Cet outil a été impulsé à l’Institut Max Planck, voici une dizaine d’années, par les scientifiques Paolo Robuffo Giordano (aujourd’hui responsable de l’équipe Rainbow au centre Inria de Rennes) et Antonio Franchi, parti ensuite au LAAS de Toulouse puis, plus récemment, à l’Université de Twente, aux Pays Bas. C’est ainsi que Telekyb3 a été adopté par ces trois derniers organismes de recherche. “Il s’agit d’un logiciel open source que tout le monde est invité à utiliser.”
Membre de Rainbow*, une équipe de robotique au Centre Inria de l’Université de Rennes, le scientifique va explorer une approche résolument nouvelle afin de poser les bases méthodologiques qui font actuellement défaut pour pouvoir mettre en œuvre de telles machines. L’Agence nationale de la recherche (ANR) vient de lui octroyer un financement dans le cadre du programme Jeune Chercheuse Jeune Chercheur. Le projet s’appelle FlyHandyBot. Il va durer quatre ans. Il implique deux étudiants de thèse et un ingénieur.
Tout sauf simple
Même si la robotique fourmille d’innovations, aucun vrai drone de travail n’a fait son apparition jusqu’à présent. Pourquoi ? Parce que la conception d’une telle machine demeure tout sauf simple. “De nombreux défis subsistent. Vous devez trouver comment construire des robots efficaces et fiables, comment percevoir l’environnement autour d’eux, comment planifier leurs actions, comment savoir ce qui se passe et comment commander leurs mouvements sans créer le chaos. En général, pour essayer de résoudre ces questions, les gens découpent le problème morceau par morceau. Ils se concentrent sur la conception, ou sur le déplacement, ou sur la commande d’actionneurs ou bien encore sur les capteurs. Et ensuite, ils espèrent que, comme par magie, ces différentes parties vont bien fonctionner ensemble. Or, en réalité, il n’en est rien. C’est pour cela que certains projets ont échoué. Les gens essayent de subdiviser un problème en sous-problèmes en se figurant s’imaginant que ceux-ci sont complètement indépendants les uns des autres. Mais ce n’est pas le cas. On oublie bien souvent que tous ces aspects se rejoignent. Ils doivent fonctionner à l’unisson et sans accrocs.”
D’où la décision de se tourner vers une méthode holistique.
La première partie du projet s’intéressera principalement aux aspects méthodologiques. “Nous voulons identifier de nouvelles méthodes théoriques pour la commande et la planification du déplacement. Nous souhaitons trouver le jeu d’algorithmes qui, étant donné certaines informations remontées par les capteurs et les objectifs poursuivis, pourra calculer quels doivent être les mouvements et les commandes d’actionneurs permettant d’atteindre ces objectifs.”
Besoin de plus de muscles
Il va falloir aussi améliorer les propriétés d’action physique. Un gros défi… “D’une certaine façon, nous avons besoin de meilleurs muscles. Dans l’état de l’art actuel, les scientifiques ont montré qu’un robot aérien pouvait exercer une force sur son environnement. En particulier contre des murs statiques. Imaginez une sorte de doigt qui peut toucher la paroi. C’est là où nous en sommes aujourd’hui. Et c’est déjà très bien parce que le drone peut effectuer des tâches non destructives. Par exemple pour estimer le bon état d’une structure en hauteur. Il y a des cas où l’inspection visuelle ne suffit pas et où il faut vraiment aller au contact de la structure. Mais dans ce cas-là, le robot n’effectue pas de manipulation à proprement parler. Les moteurs devant rester très légers, ils ne fournissent pas les propriétés d’actionnement qui seraient nécessaires pour contrôler précisément la force exercée par le robot. On peut contrôler la position, mais pas la force.” Pour commencer à résoudre ce problème, il faudra de nouveaux équipements de pointe, en particulier des rotors orientables et des bras articulés.
Autre difficulté : la façon dont le robot doit gérer l’information perçue. “Il peut y avoir du vent là-haut. Donc la position de l’appareil change à chaque instant. Le robot doit capter cette information en temps réel, savoir quel sera sa prochaine action en termes de mouvement, mais aussi effectuer la tâche requise. À l’itération suivante, le vent aura déjà changé. Donc le robot devra tout re-planifier pour travailler à nouveau.” Tout cela, en un clin d’œil.
Résoudre de multiples tâches simultanément
Complication supplémentaire : ces engins ne disposent pas d’une cinématique aussi sophistiquée que celle des êtres humains. “Il y a juste une caméra attachée au robot. Elle doit pouvoir observer en permanence ce qui se passe pour permettre à l’engin de continuer son travail.” Et là, les choses se corsent. “Vous n’essayez pas de traiter une seule tâche, mais toute une série à la fois. Vous devez observer, planifier et agir. Tout cela en même temps. Sans parler du fait que la plateforme possède trois degrés de mouvement dans l’espace, trois degrés de rotation, des rotors qui tournent à toute vitesse, des bras articulés et qu’en plus, elle exerce des forces sur son environnement. Au final, c’est une dynamique très complexe qui requiert une résolution des problèmes très rapide.”
Pour ce projet, la principale source d’inspiration vient “de communautés comme celles des robots sur jambes, des humanoïdes et des robots manipulateurs. Nous cherchons à faire ce qu’elles ont accompli il y a 10 ans. Mais on ne peut pas prendre leurs travaux et les appliquer comme tels à la robotique aérienne. Notre système est complètement différent. Un robot terrestre peut manipuler des choses. Mais il se trouve au sol. Vous pouvez donc pousser tant que vous voulez, il ne bougera pas. Un engin en vol, lui, est instable. Il produit des forces grâce des phénomènes aérodynamiques qui sont très difficiles à modéliser, très instables, très imprévisibles. Le vent, c’est quelque chose que vous ne voyez pas, par exemple. Donc, même si les méthodes sont inspirées par les communautés que j’évoquais, il reste beaucoup de travail à faire pour prendre en compte les défis spécifiques à cette robotique aérienne.”
Les chercheurs envisagent toute une série de prototypes pour illustrer leurs travaux théoriques. “Nous avons quelques belles expériences en tête. Imaginez un drone ouvrant une valve sans aucune aide humaine, grâce uniquement à ses capteurs embarqués. Ou encore un drone poussant une boîte, de lui- même, vers un endroit précis. Nous ajouterons même quelques complications. Tout en effectuant son travail, l’engin devra par exemple éviter des obstacles.”
Transfert technologique en perspective
Les expérimentations vont se dérouler dans le laboratoire de l’équipe Rainbow. “Mais si tout se passe bien, ajoute Marco Tognon, nous irons tester ces machines dans un vrai contexte. Par exemple une usine de traitement des eaux. Nous voulons montrer que ces idées peuvent vraiment fonctionner et trouver leur utilité dans la vie réelle. Nous sommes convaincus que cette recherche peut avoir un gros impact.” FlyHandyBot serait d’ailleurs susceptible de déboucher sur du transfert technologique. “Nous pourrions même créer des startups pour concrétiser tout cela…”
- Rainbow est une équipe-projet Inria, CNRS, Université de Rennes et Insa Rennes, commune à l’Irisa.