Le projet franco-québécois INTROSPECT vise à fournir aux archéologues de nouveaux outils de travail pour aller plus loin dans l’exploitation des images grâce à la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’impression 3D. Des résultats de recherches seront présentés lors du séminaire Archéologie, Images et Numérisation organisé par l’Inrap, Inria et l’Irisa à Rennes les 26 et 27 juin.
C’est une boule de granit comme on en découvre de temps à autre sur les chantiers de fouilles. Elle date de l’époque gauloise. Une tige métallique complètement rouillée la traverse de part en part. “La boule servait de contrepoids dans une balance, explique Ronan Gaugne, ingénieur de recherche au sein d’Hybrid, une équipe rennaise (1) spécialisée en réalité virtuelle et interaction 3D. Si l’archéologue veut étudier la tige, il va d’abord être contraint de briser la boule. Il faudra ensuite traiter le métal dans des bains d’acide et fraiser la gangue de corrosion. Tout cela va prendre un an. Nous, sans rien détruire, à partir du fichier de numérisation par rayons X, nous avons généré un modèle 3D de la tige et de la boule de granit qui l’entoure. Nous avons ensuite réalisé une impression 3D de l’objet qui est ici coupé en deux pour mettre en évidence la tige traversant la pierre. On découvre alors que cette tige n’est pas cylindrique mais quadrangulaire. Ce qui renseigne l’archéologue sur la technique de forge utilisée. On peut aussi constater qu’elle était plus longue à l’origine et que le forgeron l’a martelée à son extrémité.”
Déménagement dans la salle de réalité virtuelle Immersia du centre Inria/Irisa de Rennes. À l’image : une balance gauloise qui tangue en fonction des pesées. Dans la main : une reproduction de la même boule équipée maintenant de capteurs. “On voit qu’il s’agit en fait d’un contrepoids pouvant coulisser le long de la balance pour permettre une pesée plus fine. Nous avons reconstitué virtuellement le comportement physique de cette balance pour interagir avec elle. L’archéologue va donc pouvoir placer l’objet dans son contexte et étudier son fonctionnement.”
Produire de nouvelles connaissances
Cet exemple constitue l’une des premières illustrations d’INTROSPECT, un projet de recherche franco-québécois coordonné par Valérie Gouranton, enseignante-chercheuse à INSA Rennes et membre de l’équipe Hybrid. “Le but est de proposer de nouveaux outils aux archéologues afin de produire de nouvelles connaissances et de découvrir des choses qu’ils n’auraient pas pu voir auparavant. Pour ce faire, nous nous appuyons sur plusieurs modalités d’images déjà couramment utilisées dans leur domaine. En particulier la tomodensitométrie, mais aussi la photogrammétrie et la télédétection laser. Nous récupérons les fichiers obtenus par ces moyens pour ensuite proposer des modes d’exploration innovants qui marient la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’impression 3D.”
Sur son ordinateur de bureau, l’archéologue disposera d’une interface pour manipuler virtuellement les objets qu’il souhaite étudier. À l’écran maintenant : une urne funéraire. Ou plus exactement son contenu. “Elle n’a jamais été ouverte. Mais l’image en 3D nous permet de voir les os qui se trouvent à l’intérieur. L’archéologue peut étudier leur agencement, puis, virtuellement, les saisir les uns après les autres, les déposer sur un plan de travail pour les mesurer, les observer sous tous les angles, tenter de les identifier, recomposer des éléments, etc.”
L’application permettra à terme de se connecter à des bases de données thématiques pour entreprendre ensuite toutes sortes de comparaisons avec des objets déjà catalogués. “L’archéologue peut aussi utiliser l’outil pour effectuer de l’annotation. Il va dire que tel objet est une serrure, qu’elle mesure telle taille, etc. Toutes ces informations iront ensuite alimenter le rapport de fouilles.”
#FIVE et #SEVEN
Ces fonctionnalités s’appuient sur deux logiciels développés depuis plusieurs années dans l’équipe Hybrid. Le premier s’appelle #FIVE. “Il sert à concevoir des environnements virtuels interactifs. Il permet en particulier de définir les objets et les interactions qui les régissent. Chaque objet possède des propriétés que l’on va décrire au moyen d’une sémantique. Une porte sert à s’ouvrir et à se fermer. Une table permet de poser des choses, etc. Par ailleurs, certains objets vont ensemble : une vis et un tournevis. Donc, nous décrivons cette relation. Cela évite de devoir recommencer tout à zéro à chaque fois que l’on débute un nouveau travail.”
Le deuxième logiciel s’appelle #SEVEN. “Il intervient pour la partie scénarisation, c’est-à-dire comment on enchaîne les actions les unes après les autres : je commence par ouvrir la porte, je vais ensuite chercher mon tournevis, etc. Il s’agit de décrire cette suite de processus. Pour cela, nous utilisons des réseaux de Petri.” Ces deux logiciels se caractérisent par leur haut niveau d’abstraction. “Depuis des années, l’un des objectifs de notre équipe est d’élever la manière de programmer dans le milieu de la réalité virtuelle. Nous cherchons à proposer un processus métier général qui soit le plus efficace possible et qui permette l’automatisation. De cette façon, quand je change d’objet, quand j’importe un nouveau fichier 3D, les interactions restent les mêmes.”
Muséographie
Si l’outil en cours de conception vise avant tout l’étude archéologique, il ouvre aussi des perspectives en muséographie. “Ce n’est pas le cœur scientifique de ce que nous faisons mais, par effet de bord, cela représente un débouché intéressant pour valoriser des travaux archéologiques auprès du public. Naturellement, cet aspect intéresse beaucoup les musées. Nous en avons d’ailleurs trois qui sont partenaires du projet.”
Un projet franco-québécois Financé conjointement par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC), sur la période 2016-2020, le consortium Introspect associe le CNRS (UMR CReAAH), l’université de Rennes 1, INSA Rennes, l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), l’Université Laval (Québec) et l’INRS(Québec). Plusieurs autres partenaires collaborent aussi au projet : le Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke, le Musée des Abénakis d’Odanak, le Centre d’interprétation de l’Îlot des Palais (Québec), ENS Rennes, ainsi que BCRX et Images ET, deux entreprises de la région rennaise spécialistes de l’imagerie médicale développant aussi une activité vers l’archéologie. La partie québécoise du projet est coordonnée par Réginald Auger de l’Université Laval. |
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