Le neurofeedback est une technique d’entraînement cérébral qui peut s’utiliser en rééducation motrice ou encore en psychiatrie. Le participant doit tenter d’auto-réguler son cerveau en effectuant une tâche mentale qu’il peut visualiser à l’écran. Mais parfois il décroche. Exercice trop dur ou trop facile. Voire même… simple vagabondage de l’esprit. Portée par la chercheuse Claire Cury au Centre Inria de l’Université de Rennes, l’action exploratoire EyeSkin-NF vise à exploiter le suivi oculaire et la conductance électrique de la peau pour percevoir en temps réel le niveau d’engagement du participant puis ajuster automatiquement la difficulté de l’exercice en conséquence.
Le neurofeedback se pratique habituellement à l’aide d’un casque électro-encéphalographique (EEG). L’appareil mesure les ondes cérébrales sur le cortex pendant que le participant s’efforce d’effectuer un exercice mental. Durant l’exercice, une application calcule un score à partir des signaux EEG et l’affiche au participant sous forme d’une jauge. Comme dans un jeu, le but est de faire monter la jauge, pour apprendre à auto-réguler son activité cérébrale.
Parfois, on mesure aussi l’activité neuro-vasculaire dans certaines zones du cerveau, c’est-à-dire la perte d’oxygène due à l’effort cérébral. Pour cela, le participant doit alors s’installer dans un tunnel d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ces deux méthodes peuvent se combiner l’une à l’autre.
Au Centre Inria de l’Université de Rennes, l’équipe de recherche Empenn* est spécialisée en neuro-imagerie. Membre du groupe, Claire Cury travaille sur le traitement des signaux cérébraux en particulier pour la rééducation visant à récupérer de la motricité après un AVC. Problème : “quand les performances du neurofeedback ne sont pas bonnes, cela s’avère très difficile de savoir pourquoi. Il existe plusieurs sources d’inefficacité. La tâche peut se révéler trop ardue. Le participant n’arrive donc pas à auto-réguler son activité cérébrale. Ou alors, à l’inverse, c’est trop facile et il se désengage. Ou bien encore la personne pense tout simplement à autre chose. Elle ne fait pas l’exercice parce que son esprit vagabonde.”.
Mais pour être pleinement efficace, l’exercice doit garder un certain niveau de difficulté. “Trop dur, on n’apprend pas. Trop simple, on n’apprend pas non plus. Il faut trouver le juste milieu. Sauf que… quand on commence un entraînement de neurofeedback, la tâche est la même pour tout le monde.”
Ajuster le niveau de difficulté
La scientifique mène actuellement une action exploratoire Inria* * pour tenter donc d’identifier ce degré d’engagement du participant dans l’exercice et, à partir de là, moduler ce que l’on appelle le calcul de la cible neurofeedback. Autrement dit, ajuster le niveau de difficulté de la tâche en fonction de la disposition mentale de chacun à chaque instant. Le projet s’appelle EyeSkin-NF. L’idée centrale : exploiter deux types de signaux physiologiques capables de renseigner sur la disposition psychique d’une personne. D’abord, le suivi oculaire, plus couramment appelé eye tracking. “La fréquence de clignement des yeux, leur déplacement par saccades et le diamètre de la pupille nous informent sur des états mentaux comme la fatigue cognitive ou le vagabondage de l’esprit.” Ensuite, la conductance cutanée. “Quand on stresse, la peau sue davantage. C’est un phénomène identifié depuis très longtemps et beaucoup utilisé en neurosciences comportementales. On retrouve cela aussi dans les détecteurs de mensonges.” Ces bio-signaux présentent aussi l’avantage d’être directs. Donc “a priori plus faciles à traiter que les signaux cérébraux qui, eux, sont très complexes.”
Définir la notion d’engagement
Confiée à la post-doctorante Augustina Fragueiro, spécialiste en psychologie et neuro-sciences, la première partie de l’action exploratoire a permis de définir cette notion d’engagement dans la tâche, d’en cerner les différentes facettes, puis d’élaborer et implémenter un protocole d’entraînement pour générer ces états cognitifs chez les participants. Le but étant ensuite de parvenir à identifier les signaux physiologiques correspondants à ces situations. L’implémentation informatique a été effectuée en binôme avec l’ingénieur de recherche René-Paul Debroize. “Ce protocole comprend des tâches qui sont assez difficiles, comme l’exercice Stroop. Il faut lire des noms de couleurs écrits dans une couleur d’encre différente. Cela requiert beaucoup d’attention. Il y a aussi un exercice d’addition très fatigant.”
Les chercheurs ont ensuite multiplié les sessions de neurofeedback pour enregistrer les signaux physiologiques de nombreux participants. Reste maintenant à les analyser pour vérifier qu’ils permettent véritablement d’identifier les états mentaux d’intérêt. “Nous commençons à voir émerger certaines caractéristiques. Mais cela reste très préliminaire à ce stade.” Ces résultats permettront de valider le protocole ou de le faire évoluer. “Peut-être aussi découvrirons-nous que nous pouvons finalement nous contenter d’une seule modalité, suivi oculaire ou conductance cutanée. Ce serait plus simple d’utilisation.”
Outre les signaux physiologiques, les scientifiques enregistrent les signaux EEG qu’ils synchronisent avec les deux autres. Initialement, ils prévoyaient de capter aussi ceux en provenance d’un tunnel IRMf. Mais la mise en place de cette partie de l’expérience s’est avérée plus lourde que prévue.
Ce que nous souhaitons faire ensuite, c’est de voir si nous pourrions mesurer l’engagement dans la tâche non plus à travers les signaux physiologiques, mais directement par l’analyse des signaux cérébraux en EEG. Si cela fonctionne, cela permettrait d’ajuster le niveau de difficulté du neurofeedback sans avoir à s’encombrer du suivi oculaire et de la conductance cutanée. On gagnerait encore en simplicité.
Dans tous les cas de figure, une fois le niveau d’engagement bien identifié, la dernière étape consisterait à développer une fonction dans l’application de neurofeedback pour que le degré de difficulté durant l’entraînement s’ajuste automatiquement en fonction de la disponibilité mentale de chaque participant tout au long de la session d’entraînement. “Mais nous n’en sommes pas encore là…”
- Empenn est une équipe Inria, Inserm, CNRS et Université de Rennes, commune à l’Irisa.
- Une action exploratoire Inria est un dispositif interne pour faciliter l’émergence de nouvelles thématiques de recherche en donnant aux scientifiques les moyens de tester des idées originales.
- Coordonnée par Claire Cury, l’action EyeSkin-NF implique six collaborateurs : Hachim Bani, Elise Bannier, Antoine Coutrot, Pierre Maurel, Agustina Fragueiro, René-Paul Debroize.