Sortir la biomécanique du laboratoire

Nouvelle équipe-projet au Centre Inria de l’Université de Rennes, ComBO étudie comment l’humain interagit avec son environnement du point de vue biomécanique. Ces recherches trouvent des applications dans trois domaines : le sport, l’ergonomie au travail et la rééducation clinique. Pour les scientifiques, le défi actuel consiste à transférer des outils de laboratoire afin de les mettre entre les mains des utilisateurs sur le terrain.

Nous représentons l’humain comme un système mécanique. Au lieu d’avoir des pièces en acier comme dans une machine, nous mettons des os. Au lieu d’avoir des moteurs, nous mettons des muscles. Au lieu d’avoir des liaisons avec des roulements, nous mettons des ligaments, des surfaces osseuses, etc. Nous appliquons ensuite les équations de la mécanique à ce système pour évaluer comment l’humain fonctionne en interaction avec son environnement, ou avec un objet. Cela peut être un matériel sportif, un outil pour le travail, ou encore un dispositif médical visant à l’assister dans une situation de handicap. Ce qui nous intéresse, ce sont les forces et les mouvements mis en jeu par cette interaction. Puis comment l’étude de ces forces et ces mouvements va pouvoir aider à améliorer cette interaction, minimiser les risques de blessure, maximiser l’efficacité du système ou encore améliorer une thérapeutique,” résume Charles Pontonnier, responsable de ComBO.

Cette équipe pluridisciplinaire (1) succède à MimeTIC qui, pendant 13 ans, a exploré des méthodes innovantes pour modéliser le mouvement humain.

Illustration de la complexité des phénomènes à l’œuvre : le saut à la perche. “Le perchiste court. Il stocke de l’énergie cinétique en courant. Puis il plante sa perche. Il la plie. Il transfert alors son énergie cinétique à la perche sous la forme d’une énergie potentielle élastique. Il s’élève dans les airs. Il y met du travail musculaire. Et la perche lui restitue l’énergie qu’elle avait stockée. Beaucoup de phénomènes sont à prendre en compte : comment la force est transférée, comment l’énergie est transférée, comment maximiser ces transferts pour aller chercher un saut le plus haut possible, etc.

Mesures à la surface du corps

Ce type d’investigation doit composer avec un problème central : “nous ne pouvons pas installer de capteurs à l’intérieur du corps pour mesurer les sollicitations internes que nous cherchons à évaluer. Nous ne disposons que de capteurs externes. Quand nous mesurons l’activité musculaire d’une personne, c’est uniquement à la surface. Il nous faut ensuite des méthodes pour estimer ce qui se passe à l’intérieur sur la base de ce que nous sommes capables de mesurer en surface. Mais leur validation s’avère complexe.

Augmentation de données de marqueurs

Les scientifiques (2) ont donc investi beaucoup de temps en laboratoire pour construire ces méthodes et aussi restituer l’interaction en réalité étendue. Ce qui a donné lieu à quantité d’innovations, en particulier dans le sport. Ainsi, en football, c’est grâce à la simulation que les gardiens de but peuvent désormais s’entraîner à mieux gérer leur défense. En cyclisme, dans le cadre du projet européen Sharespace, un nouvel entraînement pour l’échappée va même tenter de mettre en selle un peloton dont tous les coureurs ne seront pas présents physiquement sur le circuit.

Deux plateformes technologiques

Pour tous ces travaux, l’équipe ComBO s’appuie sur deux équipements assez uniques. Tout d’abord Immersia, une salle de réalité virtuelle qui permet de mettre en œuvre des expériences de très grande taille. Ensuite Immermove, une plateforme qui comprend, entre autres, un gymnase entier dédié à la capture de mouvement.

Nous arrivons à ce moment charnière où nos méthodes sont désormais matures. Nous voulons donc les sortir du laboratoire pour qu’elles puissent être directement utilisées par les gens sur le terrain, que ce soient des coachs sportifs, des ergonomes du travail ou des soignants.

D’emblée, une limite surgit. “Nous ne sommes plus là dans les conditions de laboratoires. Beaucoup de choses changent par rapport à dans l’environnement réel de la personne. Cela génère des contraintes très différentes. Nous devenons tributaires des conditions extérieures. Nous ne pouvons pas équiper les gens de la même manière. Les données sont moins bonnes, moins nombreuses, plus bruitées.

Or pour l’instant, si les modèles de laboratoires fonctionnent bien, ils nécessitent toujours la mise en œuvre de méthodes complexes, une expertise de la personne qui les déploie et surtout beaucoup de mesures. Question : “si l’on passe à des données avec un niveau d’information et de précision plus faible, comment résoudre nos équations ? Comment faire en sorte qu’elles aient toujours un sens ?

La solution pourrait venir du Machine Learning. “Il y a de grandes chances que l’on puisse exploiter les informations dont on dispose sur des modèles statistiques de l’humain pour compléter des mesures moins précises avec des informations précises. C’est notre objectif : augmenter les données que l’on obtient sur le terrain avec des données issues du laboratoire ou de base de données plus grandes pour construire des modèles représentatifs de la personne étudiée à partir de mesures très dégradées. Ce type d’approche nécessite des méthodes modernes d’apprentissage machine que nous exploitons dans l’équipe.

Positionnement très applicatif

L’équipe revendique un positionnement très applicatif. “Que ce soit pour le sport, l’ergonomie au travail ou le handicap, c’est sur le terrain que nous puisons les problématiques qui alimentent nos questionnements scientifiques. Et c’est vers le terrain que nous retournons ensuite avec des réponses adaptées.”

Dans le champ clinique, par exemple, ComBO travaille avec l’équipe de robotique Rainbow et le pôle de rééducation Saint-Hélier, à Rennes, sur un exosquelette de membre supérieur pour des patients atteints de sclérose en plaque ou ayant subi un AVC. “Ces personnes ne peuvent parfois mobiliser leur bras qu’avec des niveaux de forces très faibles. L’exosquelette peut améliorer la situation. Mais il faut que cet appareil réponde de la manière la plus adaptée à chacun en fonction de son état. Il y a donc un intérêt à modéliser l’humain dans ce type de situation pour construire une image de ses capacités de générateur d’effort.” Ces recherches se déroulent dans le cadre de l’Action exploratoire Inria (3) MusMapS.

Les scientifiques ont participé à l’élaboration d’un autre exosquelette mais, cette fois-ci, pour les bouchers de l’industrie agro-alimentaire. La profession est très exposée aux troubles musculo-squelettiques (TMS). Porté par LAB4i, la filiale innovation du groupe Ovalt, avec l’appui du groupe Cooperl, le projet collaboratif Exoscarne 2.0 visait donc à trouver des solutions afin de réduire le niveau d’effort manuel. “Dans ce cadre, nous avons été sollicités pour caractériser la tâche, comprendre la biomécanique du boucher quand il découpe une pièce de viande, puis évaluer l’interaction avec l’exosquelette. Évaluer et analyser les effets bénéfiques et délétères du système développé. Nous sommes intervenus en amont pour définir le cahier des charges au sens  biomécanique et en aval pour évaluer la solution.” L’appareil se trouve désormais en phase de test sur une chaîne de découpe. À noter au passage que des chercheurs de l’équipe ont également contribué au lancement de Moovency, une startup qui intervient, elle aussi, dans la prévention des TMS.

Aider à la préparation des athlètes pour les JO 2024

Côté sport, ce sont les Jeux Olympiques de Paris qui ont récemment mobilisé les chercheurs à travers trois Programmes prioritaires de recherche (PPR) : BEST Tennis sur le retour de service des joueurs, Revea sur l’optimisation de la performance des athlètes par l’usage de la réalité virtuelle et Neptune, sur la natation en bassin. “Tout cela a donné lieu à un transfert des résultats scientifiques et leur usage direct pour le sport de haut niveau par le biais des fédérations sportives.

Projet Revea
  1. Combo est une équipe-projet commune Inria, Université de Rennes, Université de Rennes 2 et ENS Rennes, au sein du  laboratoire Mouvement, Sport, Santé (M2S) de l’Université Rennes 2 et du laboratoire Irisa.
  2. Les membres permanents de ComBO sont : Franck Multon, Nolwenn Fougeron, Benoît Bideau,  Nicolas Bideau, Armel Cretual, Diane Haering, Hugo Kerhervé, Richard Kulpa, Caroline Martin, Guillaume Nicolas, Anthony Sorel, Mathieu Ménard, Nicolas Vignais, Georges Dumont, Ronan Gaugne, Fabrice Lamarche, Charles Pontonnier, Laurent Guillo et Pierre Hellier.
  3. Une action exploratoire Inria est un dispositif interne pour faciliter l’émergence de nouvelles thématiques de recherche en donnant aux scientifiques les moyens de tester des idées originales.

 

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