Côté science

Le robot impliqué dans cette aventure est appelé un robot parallèle à câble (CDPR dans sa version anglaise). L’idée est d’avoir un bidon soutenu par 4 câbles qui, partant du bidon, montent vers des poulies situées en hauteur aux 4 coins de la pièce. Les longueurs de ces câbles sont modifiées par des treuils et l’on peut montrer que le contrôle de ces longueurs permet de déplacer le bidon où l’on veut dans la pièce. Ce type de robot est d’application très large avec l’intérêt de pouvoir déplacer de lourdes charges dans un volume important. Le matériel utilisé a été conçu pour être modulaire.

Initialement, ce CDPR a été déployé comme grue de secours autonome pour tremblement de terre (avec 6 câbles pour contrôler aussi les rotations du bidon) dans un espace de 75×35×25 mètres (hauteur) et pouvant soulever 1.5 tonnes, tout en pouvant être transporté facilement avec un poids total de 200 kilogrammes (source d’énergie incluse). Il est actuellement plus utilisé pour aider les personnes fragiles à se déplacer de manière autonome dans leur lieu de vie tout en assurant un suivi médical de leur marche (ici l’intérêts d’un CDPR est le côté peu intrusif des câbles et sa capacité à disparaitre dans le plafond).

En dépit de son aspect mécanique simple, un CDPR pose des problèmes scientifiques très ardus. Un exemple simple est de se poser la question de savoir si l’on peut avoir les 4 câbles tendus simultanément pour une position donnée du bidon. Pour répondre à cette question, on constate tout d’abord que fixer la position du bidon fixe la longueur des 4 câbles qui doivent être la distance entre la poulie et le point d’accroche B des câbles au bidon.
Réciproquement, si 3 câbles sont tendus et qu’on connait leurs longueurs alors la position du bidon est fixée.
Ainsi, si l’on veut tendre le 4e câble, il faut que sa longueur soit exactement la distance entre sa poulie et le point B.

Contrôler exactement la longueur d’un câble est en pratique impossible et le CDPR aura donc en général au plus 3 câbles tendus. Mais lesquels ? Cela dépend de la position du bidon mais de plus on peut montrer que pour une position donnée il existe deux triplets de câbles qui pourront supporter le bidon.

On voit donc que le contrôle de la longueur des câbles est essentiel pour le fonctionnement d’un CDPR.
Mais un câble a aussi un côté élastique qui fait que sa longueur dépend de la tension auquel il est soumis, alors que s’il est soumis à une tension très faible il prendra une forme dont l’équation mathématique est connue mais complexe.

En pratique, on mesure cette longueur en mesurant la rotation du tambour du treuil.
Toutefois, le câble peut s’enrouler en plusieurs couches (nos treuils peuvent emmagasiner 200 mètres de câbles) et le changement de longueur d’un câble pour un tour de rotation du tambour dépend du nombre de couche sur celui-ci.
Malheureusement l’enroulement du câble sur le tambour (et donc le nombre de couches) est en pratique difficilement contrôlable.

C’est pourtant cette approche qui est utilisée pour le contrôle de ce CDPR. Elle est toutefois complétée par une autre méthode. Nous avons placé sur le bidon trois capteurs appelés lidars. Un lidar a une tête tournante en permanence et, pour chaque incrément de 0.5 degrés de l’angle de rotation, le lidar utilise un rayon laser pour mesurer la distance au plus proche obstacle dans cette direction. Un lidar fournit donc la position d’un nuage de points dans un plan.
Ce nuage est utilisé pour mesurer la position du bidon : un lidar vertical mesure sa hauteur et deux lidars horizontaux mesurent des points sur trois des quatre murs de la pièce, ce qui permet de situer le bidon dans le plan horizontal. L’inconvénient des lidars est qu’ils ne fournissent l’information de position du bidon qu’une fois toutes les 3 secondes : dans ce laps de temps on utilise la rotation des tambours pour estimer les longueurs des câbles (les mesures lidars servant à affiner l’estimation de l’enroulement des tambours), ce qui permet de situer le bidon sous condition que l’on sache qu’elles sont les câbles tendus. Pour cela on a placé sur les câbles à 50 cm du bidon un capteur qui permet de mesurer l’angle du câble avec l’horizontal. On peut alors déterminer si le câble est tendu et, s’il ne l’est pas, de combien il est d étendu (ce que l’on va compenser pour avoir en permanence les câbles proches d’une situation tendue).

Le CDPR fonctionne donc en utilisant un modèle très complexe mais qui n’est certainement pas parfait.
Pour l’améliorer, nous avons placé, sur le bidon et l’environnement, une batterie de capteurs qui mesurent l’état du système afin de pouvoir affiner notre modèle. Par exemple, suite à notre premier déploiement de ce CDPR en 2019, nous avons utilisé ces mesures pour élaborer un modèle bien plus complexe qui sert pour contrôler le CDPR de 2022. L’intérêt scientifique pour Hephaïstos de ce déploiement est de pouvoir faire fonctionner un CDPR sur un temps long, ce qui est rarissime pour un prototype de laboratoire, en accumulant les mesures qui nous permettront encore d’affiner notre modèle. L’utilisation de ce modèle très complexe, la taille du domaine dans lequel le CDPR évolue ainsi que l’ensemble des mesures prises sur le système rend notre dispositif unique au monde.

En dehors du CDPR lui- même, il y a un intérêt scientifique dans l’analyse de l’évolution de la forme du tas de poudre de verre, (matériel dit granulaire) au fur et à mesure du dépôt des couches, sachant que cette évolution est mesurée de différentes manières. Il existe des travaux de modélisation de ce type de matériaux qui sont utiles par exemple pour prévoir l’érosion des dunes ou le déclenchement d’avalanche en milieux neigeux.

Toutefois, il est très difficile de vérifier expérimentalement la validité de ces modèles car on a peu de maîtrise sur le milieu expérimental. Le système présenté ici a justement l’intérêt d’offrir un milieu homogène, des conditions expérimentales contrôlées, ainsi que la possibilité de la reproduire à volonté. Nous sommes donc en contact avec des spécialistes de ces domaines pour leur fournir des données et éventuellement conduire des expériences particulières qui permettront peut-être d’affiner leur modèle.

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