Des robots de services en tous genres déambuleront bientôt dans les lieux publics à côté des piétons vaquant à leurs occupations quotidiennes. Consortium européen coordonné par Inria et financé par le programme Horizon 2020 – ICT, Crowdbot ambitionne de permettre à ces machines de naviguer sans heurt et sans risque dans la marée humaine. Comme l’explique Julien Pettré, coordinateur du projet, ces recherches accordent une grande importance à l’éthique.
Le 5 décembre 2017, la ville de San Francisco a décidé de mettre un frein aux allées et venues de tous ces robots de livraison qui commencent à arpenter ses trottoirs. Raison invoquée : la sécurité des piétons. En pratique, ces engins ne seront pas plus de neuf. Ils devront circuler à moins de 5 km/h, se contenter des zones industrielles et se faire accompagner par quelqu’un. L’épisode illustre l’inquiétude grandissante quant à la cohabitation entre robots et êtres humains dans les lieux publics. Dans ce contexte, le projet Crowdbot tombe à point nommé. Composé de 5 entités académiques et 2 partenaires industriels, ce consortium démarre un travail de 42 mois pour aider les robots à se déplacer sans heurt à travers les foules denses.
“Le sujet soulève effectivement beaucoup de questions, remarque le chercheur Julien Pettré (1). Est-ce pertinent d’avoir des robots au milieu d’une foule ? Est-ce souhaitable ? Est-ce dangereux ? Peut-on réduire ce risque au maximum ? Pour notre part, nous pensons que oui, la présence de robots peut s’avérer pertinente dans certains cas, le meilleur exemple étant celui du fauteuil roulant autonome. Car si l’on interdit sa présence dans certains lieux, alors il y a des endroits dont les personnes handicapées utilisant ces machines se retrouveront de facto exclues. Au nom de quoi ne seraient-elles pas autorisées à fréquenter une salle de concert ou autre ? Maintenant, pour le robot livreur de pizza, c’est un autre débat.” Débat qu’il appartiendra au législateur d’arbitrer. Un des objectifs du projet est précisément d’aider les gouvernements à formuler une réglementation sur ce sujet. “Même si les aspects éthiques et légaux ne sont pas tranchés, il faut traiter des questions techniques et scientifiques pour savoir de quels risques l’on parle et quelles garanties l’on peut donner.”
Un arrêt parfois contreproductif
“Aujourd’hui, quand un humain s’approche à 10 cm d’un robot, la machine est programmée pour s’arrêter net afin d’éviter toute collision. Parfois, ce gel peut s’avérer contreproductif. Si le robot se déplace dans une zone où il y a beaucoup de monde, il restera à l’arrêt presque tout le temps. Il ne peut plus effectuer son travail. Pire encore, en cas d’évacuation d’urgence, un robot à l’arrêt peut devenir un obstacle quand il se trouve dans un passage étroit ou près de la sortie par laquelle tout le monde veut sortir.”
À tout bien réfléchir, mieux vaudrait peut-être donc laisser le robot continuer son chemin. “Nous considérons que si un robot a pour vocation d’effectuer une tâche en évoluant parmi les gens, alors son système de navigation doit être conçu de telle façon à ce qu’il puisse continuer à faire ce pourquoi il est là ou s’adapter en fonction des changements de conditions.” Ce principe se heurte pourtant à un obstacle : “il faut prendre en compte le fait que la densité de fréquentation dans les lieux publics n’est pas contrôlée. Autrement dit, il peut y avoir vraiment beaucoup de monde. Et même si la foule est faible, il peut y avoir un attroupement à un endroit précis.” Nul doute que le robot devra donc parfois serpenter à travers des foules denses.
Détection
Pour relever ce défi, CrowdBot va déployer des recherches dans plusieurs directions. Tout d’abord : la détection. “Le robot possède des caméras car il faut qu’il puisse percevoir les gens autour de lui. Il y a deux aspects : d’une part le suivi des personnes les plus proches et d’autre part l’estimation du mouvement général dans la zone de visibilité. L’expertise dans ce domaine de la vision par ordinateur nous est fournie par l’université technique de Rhénanie-Westphalie, à Aix-la-Chapelle.”
Un autre axe de recherche porte sur la navigation proprement dite. “La stratégie comporte trois niveaux. Long terme : je perçois une foule dense en face de moi. Je vais d’abord essayer de contourner ces personnes en anticipant la trajectoire la plus appropriée pour éviter le contact. Moyen terme : j’ai fait ce que j’ai pu mais il y a des gens autour de moi. Je regarde comment ils se déplacent et j’effectue de petites adaptations locales. Court terme : le choc est imminent ou est en train de se produire. Je dois avoir une réaction immédiate.”
Interaction physique homme / robot
Spécialiste de la navigation robotique dans les environnements dynamiques, l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) travaillera sur les aspects longs et moyens termes. Celle de Lausanne (EPFL) se concentrera sur la stratégie à court terme en collaboration avec Locomotec, une entreprise allemande dont le robot cuyBot permettra de mener les expériences. “L’EPFL possède une forte expérience dans l’interaction physique homme/robot, en particulier quand l’un et l’autre doivent accomplir des tâches de façon collaborative. Le projet va permettre de transférer ce savoir-faire dans le domaine de la mobilité robotique. Quant à Locomotec, ils ont envie de tester ces idées. Leur robot sera équipé de capteurs de force. Nous pourrons ainsi tester les forces exercées durant l’interaction entre le robot et la foule.”
Si le projet vise avant tout à minimiser les risques de collision, les chercheurs veulent aussi explorer dans quelle mesure de petits chocs peuvent faire partie de l’équation. “Si l’on a une idée des forces qui sont tolérables durant une interaction homme-robot et si l’on possède les algorithmes qui permettent au robot de réagir en fonction de cela, alors la machine pourrait faire en sorte de ne pas aller au-delà de l’acceptable de façon à ne blesser personne.”
Deux autres plateformes serviront aux expériences. “L’une est Pepper, un robot humanoïde sur roues conçu par SoftBank Robotics Europe qui a vocation à évoluer à proximité des humains. L’autre est un fauteuil roulant semi-autonome développé à l’University College de Londres. Ici à Inria, ma collègue Marie Babel travaille d’ailleurs sur ce même sujet. Le projet Crowdbot va donc aussi contribuer à étendre sa collaboration avec UCL.”
Simulation de foule
Élément essentiel pour cimenter toutes ces différentes briques technologiques : la simulation de foule. Cette expertise provient principalement d’Inria. En s’appuyant sur les données collectées par le robot, “la simulation va permettre de prédire l’évolution de la foule afin d’anticiper les collisions. Les gens sont là. Ils se déplacent dans telle direction. Ils devraient se trouver par ici dans 10 secondes. Donc, je vais aller par là. Peut-être même pourrai-je prédire comment ils vont réagir à mon propre mouvement.”
La simulation va aussi permettre d’évaluer différents scénarios et les risques qu’ils comportent avant de débuter les tests en conditions réelles. “Elle va nous dire, par exemple, que tel algorithme de navigation provoque 40 collisions alors que tel autre en génère 20, ou que ces collisions sont plus fortes.” Mais pour cela, les scientifiques ont besoin d’une nouvelle génération d’outils qu’ils vont donc devoir fabriquer. “Les simulateurs de foule actuels n’ont aucun ancrage dans la réalité. Nous allons devoir améliorer ces techniques pour leur permettre d’incorporer un robot virtuel ainsi qu’une couche physique pour refléter ce que va générer la collision en terme de force.” Et cela, “c’est quelque chose de complètement nouveau.”
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