Développer l’analyse d’images pour l’agriculture 4.0

En combinant l’intelligence artificielle et les capteurs surveillant les champs, les exploitants pourront bientôt cartographier l’arrivée des mauvaises herbes, des ravageurs et des maladies sur leurs cultures. Consortium rassemblant des coopératives agricoles et des entreprises high-tech, Cartam vise à développer un outil numérique pour accompagner les filières céréalières et légumières dans cette nouvelle façon de travailler. Le centre Inria Rennes – Bretagne Atlantique participe à ce projet en y impliquant à la fois une équipe de recherche et une de ses start-up.


En 2025, l’agriculture française devra avoir diminué de 50% sa consommation de pesticides. Ainsi en a décidé le gouvernement dans son plan EcoPhyto 2 pour la préservation de l’environnement. Conséquence : les exploitants vont devoir trouver d’autres moyens de protéger leurs cultures. En réponse, la profession amorce un virage vers l’agriculture de précision, aussi appelée agriculture 4.0. Et c’est dans ce contexte que s’inscrit le projet Cartam. Son objectif : placer des capteurs dans les champs, sur des tracteurs ou sur des drones, puis utiliser les dernières technologies en analyse d’images pour produire automatiquement des cartes localisant l’apparition des mauvaises herbes et des maladies sur les cultures. Ce repérage permettra ensuite d’appliquer des traitements beaucoup plus ciblés.

Lancé début 2019, le projet va durer trois ans. Piloté par la coopérative Triskalia, le consortium rassemble : l’interprofession des entreprises légumières (Unilet), Copeeks, concepteur de boîtiers connectés, NeoTec-Vision, intégrateur de solutions d’imagerie, Rainbow, équipe de recherche Inria en vision robotique (1) et Dilepix, start-up Inria spécialisée en analyse d’images pour l’agriculture. Labellisé par les pôles de compétitivité Vegepolys et Images&Réseaux, Cartam est financé par le Fonds Européen pour le Développement Régional (Feder), la Région Bretagne et Lannion Trégor Agglomération.

Posture pro-active

 

Des outils d’aide à la décision, nous en commercialisons depuis longtemps, explique Benoît Camus, du pôle Innovation de Triskalia, une coopérative qui représente aujourd’hui 16 000 agriculteurs. Mais jusqu’à présent, ces produits nous étaient proposés par nos fournisseurs. Là, avec le projet Cartam, nous adoptons une posture beaucoup plus pro-active. Nous nous investissons pour participer directement au développement d’une solution. Nous contribuons à imaginer un service pour lequel nous apportons aussi notre vision du marché et notre connaissance agronomique. Nous partageons la rédaction du cahier des charges avec Unilet, l’interprofession des légumes d’industrie.

En pratique, chacune de ces organisations va s’intéresser à une culture spécifique : le blé pour Triskalia, le haricot pour Unilet. “Pour le blé, ce sera en lien avec une maladie et une mauvaise herbe. En l’occurrence, nous avons choisi la rouille jaune et une adventice qui s’appelle le séneçon commun. Pour le haricot, ce sera en lien avec le datura stramoine. Ces modèles nous serviront à mettre au point l’outil. Ensuite, il y aura un travail d’apprentissage sur les autres couples menace/culture ».

« L’objectif est de développer un produit commun qui puisse répondre aux problématiques des différentes cultures.

Une première phase du projet vise à définir les meilleures modalités pour l’acquisition des données. “Cette partie est assurée par les entreprises Copeeks et NeoTec Vision. Il y a beaucoup de points à éclaircir. Faut-il embarquer le capteur sur un tracteur ? Sur un drone ? À quelle altitude ? En fonction du type de capteur retenu, l’investissement peut varier énormément. Ce qui va impacter le modèle économique.

Intelligence artificielle

 

Alban Pobla et Aurélien Yol ont fondé la start-up Dilepix : née d’un transfert de technologie avec Inria Rennes-Bretagne-Atlantique en 2017, elle a officialisé sa création en mars 2018.

Une fois ces captures effectuées, place à Dilepix, une start-up Inria née des travaux en vision robotique menés au centre de recherche de Rennes. “Nous sommes un acteur purement logiciel spécialisé dans l’intelligence artificielle pour l’agriculture, précise Aurélien Yol, co-fondateur. Nous développons un service d’analyse d’images qui s’adresse aux coopératives. Il peut s’agir de traiter des vidéos issues de la surveillance des élevages, ou des images provenant de pièges à insectes connectés, ou bien encore des images de cultures prises à partir de caméras montées sur des tracteurs, des drones, ou autre. L’analyse automatique de ces données permet de remonter des alertes pour signaler, par exemple, l’imminence d’un vêlage ou l’apparition de mauvaises herbes sur une parcelle.

Invitée par l’accélérateur de start-up du Crédit Agricole, c’est au salon de l’électronique grand public de Las Vegas que Dilepix a présenté son premier produit : un service d’analyse d’images à distance sur plateforme cloud. “Le CES de Las Vegas, ce n’est pas que du MP3, indique Alban Pobla, co-fondateur. Il y avait aussi la dernière moissonneuse batteuse de John Deere. Nous avons d’ailleurs rencontré le responsable de la conception des cabines du constructeur et nous lui avons expliqué que c’est là que nous voulions installer notre technologie.

 

S’affranchir des produits phytosanitaires

 

En France, des systèmes de reconnaissance visuelle commencent à embarquer sur des tracteurs pour actionner ponctuellement les buses des pulvérisateurs. “Mais ils s’appliquent à du traitement direct, remarque Benoît Camus. C‘est à dire qu’ils détectent pour mieux pulvériser. Nous, nous souhaitons une solution qui permette de nous affranchir le plus possible des produits phytosanitaires. En tant que prescripteur, nous voulons pouvoir faire du conseil afin d’aider les exploitants à adapter les pratiques. Parfois, effectivement, il faudra pulvériser. Mais dans d’autre cas, on pourra recourir au désherbage mécanique ou modifier la rotation des cultures, par exemple. C’est pour cela que nous sommes passés de l’idée d’un outil de reconnaissance à un outil de cartographie.

De son côté, Dilepix travaille sur une nouvelle version de sa technologie. “L’idée, c’est de ne plus envoyer les images vers le cloud, mais de les traiter directement en local en utilisant la puissance de calcul disponible sur le capteur, résume Alban Pobla. On ne fait plus remonter l’image, ce qui consomme de la bande passante, mais seulement l’information pertinente. Nous envisageons aussi d’effectuer les calculs sur un ordinateur embarqué dans le tracteur. L’exploitant dispose ainsi d’une analyse en temps réel et il peut décider immédiatement d’une action à entreprendre.”

VISP, librairie en vision robotique

 

Pour ces travaux, la start-up s’appuie sur VISP, une librairie logicielle pour la vision robotique développée par l’équipe de recherche Rainbow au cours des 20 dernières années. “Dans le cadre du projet Cartam, un ingénieur va être recruté au sein de cette équipe afin d’adapter des éléments de la librairie à notre cas d’usage,” indique Aurélien Yol. “Notre start-up agit comme un vecteur de transfert technologique, ajoute Alban Pobla. D’une part, nous apportons aux scientifiques une problématique de terrain et, d’autre part, nous contribuons à concevoir une solution innovante qui répond aux attentes des utilisateurs.”

Dilepix finalise par ailleurs une levée de fonds et s’apprête à embaucher. “Nous allons recruter très prochainement trois ingénieurs. D’autres postes seront aussi à pourvoir. Nous tablons sur un effectif d’une dizaine de personnes avant la fin de l’année.

 

  • (1) Localisée à Rennes, Rainbow est une équipe-projet Inria commune à l’Irisa (UMR6074). Elle est affiliée à l’Université Rennes 1, à Insa Rennes et au CNRS.

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