Modéliser l’interaction entre plongeoir et plongeur

Dans certains sports, l’athlète fait corps avec un matériel dont le comportement élastique constitue un facteur de la performance. C’est le cas du plongeoir. En perspective des JO de 2024, les scientifiques de l’équipe de recherche rennaise MimeTIC entreprennent de modéliser cette interaction sportif-matériel en couplant la biomécanique humaine et la dynamique d’un objet déformable. À la clé : le perfectionnement du geste.


Quand l’athlète sollicite le plongeoir, la planche se déforme. Elle ploie. Elle accumule de l’énergie. Puis elle la restitue sous l’effet de son élasticité. Le sportif prend ainsi une impulsion plus ou moins efficace en fonction de comment il exploite cette déformation, explique Charles Pontonnier, chercheur dans l’équipe MimeTIC* sur le campus de Ker Lann, près de Rennes. À partir de là, nous voulons faire trois choses. Tout d’abord caractériser ce plongeoir. En produire un modèle le plus proche possible de la réalité. Trouver un moyen de simuler son comportement. Ensuite, modéliser l’athlète sur ce plongeoir. Et pour finir, mettre ces deux modèles en communication : leur permettre d’interagir pour voir comment cette interaction va à la fois provoquer une déformation du plongeoir et générer une impulsion cohérente du plongeur.

Ces travaux sont au cœur du sujet de la thèse de Louise Demestre* cofinancée par l’École normale supérieure de Rennes et la région Bretagne et dont Charles Pontonnier est l’un des co-directeurs. Cette thèse bénéficiera de NePTUNE, un projet de recherche sur la natation haut niveau dont MimeTIC est partenaire* et qui a été retenu par le Programme prioritaire de recherche (PPR) ‘Sport de Très Haute Performance’.

Lancé par l’État, ce plan encourage les actions scientifiques pouvant venir en support aux athlètes français de différentes disciplines durant les JO de Paris en 2024. “Nos modélisations vont conduire à une analyse pour chercher les informations pertinentes sur le mouvement réalisé. Nous restituerons ensuite cette analyse dans un cadre d’entraînement. Mais sans nous substituer à l’entraîneur : celui-ci va utiliser nos observations pour guider l’athlète et l’aider à optimiser son saut.

 

Expérimentation

Ces recherches débutent par une phase d’expérimentation. Rendez-vous d’abord à la piscine Saint-Georges de Rennes. “Nous équipons un plongeoir de marqueurs et nous faisons de la capture de mouvement à l’aide de caméras. Nous obtenons ainsi la déformation du plongeoir.” Même chose ensuite pour le sportif. Les essais initiaux s’effectuent avec le concours d’un gymnaste, dans l’attente de faire passer des plongeurs plus confirmés. Ces premières manipulations ont déjà permis de valider la démarche. “Les données obtenues nous confortent dans l’idée que c’est jouable et que nous allons pouvoir ensuite proposer cette méthode aux plongeurs de l’équipe olympique.

Étude bio-mécanique

Structure élastique fine et allongée, le plongeoir présente un comportement classique que l’on peut représenter en utilisant la théorie des poutres. La modélisation du plongeur s’avère plus complexe. Les chercheurs décomposent l’étude biomécanique en plusieurs aspects. “D’abord la cinématique inverse. Donc l’analyse du mouvement pour récupérer les angles pris par les articulations. On peut ainsi savoir si l’athlète utilise toute son amplitude articulaire ou observer comment il synchronise ses segments entre eux pour réaliser son geste.

Ensuite, il faut parvenir à connaître les efforts articulaires qui vont être déployés. En particulier les forces mises en jeu entre le sol et la personne. “On positionne des plateformes de forces au sol. Si l’athlète a un pied sur chacune d’elles, on récupère l’action complète. Mais ces plateformes sont chères et difficiles à déployer hors du laboratoire. Ce qui en limite beaucoup l’usage. Un des défis sur lequel nous travaillons, c’est d’estimer les efforts à partir du mouvement observé et ainsi se passer de la mesure. Cette méthode ouvrirait un champ applicatif beaucoup plus grand. Nous pourrions faire de l’analyse sur un terrain de football, sur une piste d’athlétisme…

 

Modèle musculo-squelettique

À partir des angles et des forces qui s’appliquent, l’étape suivante vise à estimer les efforts internes, c’est à dire l’action des muscles sur les articulations. Problème : “le corps possède plus de muscles que nécessaire pour réaliser ces actions. Il faut donc trouver une règle de répartition des efforts des différents muscles. Nous intégrons cette règle dans un modèle musculo-squelettique qu’il faut ensuite valider par électromyographie, c’est-à-dire en mesurant l’activité électrique du muscle.

 

Boîte à outils CusTom

Au fil des années, l’équipe MimeTIC a développé une boîte à outils baptisée CusTom*. Conçue en MatLab et disponible en open source, “cette librairie dédiée à l’analyse du mouvement est complètement opérationnelle pour les travaux en cinématique inverse, dynamique inverse et estimation des efforts musculaires.  Elle est désormais utilisée par d’autres laboratoires que le nôtre. La librairie est le support de recherche de six doctorants au sein de l’équipe actuellement. Certains pour exploiter des données et faire de l’analyse sportive ou ergonomique. D’autres en vue de développer de nouvelles techniques pour avoir des modèles plus simples, plus performants, des calculs plus rapides, des analyses plus complexes ou encore pour étendre le champ applicatif. Clairement, l’un des enjeux principaux, c’est de parvenir à appliquer ces méthodes hors du laboratoire.

 

  • MimeTIC est une équipe-projet Inria, ENS Rennes, Université Rennes 2 et Université Rennes 1. Elle fait partie des laboratoires M2S (Mouvement Sport Santé – EA1274) et Irisa (UMR CNRS 6074).
  • “simulation MUsculo-squelettique et Structure Elastique pour le Sport”, thèse en cours par Louise Demestre, co-dirigée par Charles Pontonnier (ENS) et Georges Dumont (ENS), co-encadrée par Nicolas Bideau et Guillaume Nicolas (Université Rennes 2).
  • Le projet NePTUNE est porté par le CETAPS de l’université de Rouen Normandie.

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